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  • 29/10/2025

RDC / RawBank : Le braquage d’une mère à bout de souffle

Devant le Tribunal militaire de garnison de Kinshasa/Gombe, une femme raconte sa vie comme on confie un secret trop lourd à porter. Son nom : Honorine Porsche Mukuna Onake, citoyenne allemande d’origine congolaise, mère de quatre enfants. Son geste ? Le 16 octobre dernier, braquer l’agence RawBank de la Place de la Victoire, armée… d’un jouet.

 

20 000 euros de dettes en Allemagne, un voyage infructueux vers la Fondation de la Première Dame, l’impossibilité de nourrir sa famille : c’est le contexte dans lequel s’inscrit cet acte. « J’étais au bout de l’espoir », confie-t-elle. « Dans la dépression, j’ai décidé d’aller acheter un jouet d’arme. »

 

Son témoignage n’est pas un récit de violence mais de désespoir social. La salle d’audience, glaciale, écoute cette femme livrer sa vérité : « J’ai pitié pour ces gens traînés ici devant la barre. Ils n’y sont pour rien. » Parmi les sept prévenus, deux policiers et deux agents de gardiennage sont accusés d’association de malfaiteurs, vol à main armée et terrorisme ; deux autres suspects, Kapi et Benjamin, sont en fuite. Selon l’accusée, l’argent récupéré aurait été « pillé par les éléments de la police », une affirmation qui ajoute une couche de complexité à l’affaire.

 

Un geste isolé mais symptomatique

 

À première vue, l’histoire pourrait se résumer à un fait divers étrange : une étrangère, un pistolet factice, un braquage raté. Mais derrière cette apparente singularité se dessine un portrait social plus large. Les dettes contractées en Europe, la charge de quatre enfants, l’échec des réseaux d’entraide — tout cela compose une pression quasi insupportable. Le geste n’est plus un simple crime, mais l’expression tragique d’une vulnérabilité transnationale.

 

Kinshasa, mégapole de 17 millions d’habitants, concentre les paradoxes du Congo : des tours bancaires flambant neuves, des transactions internationales, et, à quelques rues de là, des femmes et des familles contraintes à la débrouille pour survivre. Honorine représente cette tranche invisible de la population urbaine, celle que la croissance économique ne touche pas.

 

Entre justice et humanité

 

La juridiction militaire est saisie de l’affaire sous les articles 324, 326 et 327 du Code judiciaire militaire, pour vol à main armée et terrorisme. Mais la scène — une femme seule, un pistolet factice, une tentative désespérée — interroge la proportionnalité. Condamner sans contextualiser, c’est ignorer que certaines fautes naissent moins du vice que du vide.

 

Le procès ne questionne pas seulement la culpabilité individuelle : il met en lumière des dysfonctionnements institutionnels. Les accusations de pillage par des policiers et la présence de prévenus liés à la sécurité privée posent des questions sur la responsabilité des acteurs étatiques et parapublics dans la protection de la société.

 

Une mère poussée à bout

 

Quatre enfants, 20 000 euros de dettes, une incapacité à se faire entendre par les institutions : le portrait d’Honorine Porsche Mukuna Onake est celui d’une mère acculée par la précarité, traversant des frontières et des bureaucraties, mais qui se heurte au silence. Son arme n’est qu’un jouet, mais le geste résonne comme un avertissement brutal : quand les réseaux sociaux, les institutions et les soutiens officiels échouent, le désespoir prend des formes inattendues.

 

Ce cas souligne un problème plus vaste : la féminisation de la pauvreté et de la vulnérabilité migratoire. Les femmes seules, chargées de famille, deviennent des actrices forcées d’un système qui ne leur propose que des portes closes. Les conséquences ne sont pas que personnelles : elles touchent la confiance collective dans la sécurité, la justice et l’efficacité des aides sociales.

 

Au-delà du tribunal

 

Le procès met aussi en lumière la question de la justice proportionnée et humaine. La juridiction militaire doit trancher sur un acte qui, en surface, relève de la criminalité, mais qui, en profondeur, est un cri contre l’indifférence sociale. Condamner la femme sans reconnaître le contexte, c’est punir une victime deux fois : d’abord par la misère, ensuite par la loi.

 

Il s’agit aussi d’un appel à la société congolaise et aux institutions : comprendre que la vulnérabilité féminine, l’endettement transnational et la solitude parentale sont des facteurs de risque réels, et qu’ignorer ces éléments peut conduire à d’autres « affaires Honorine » dans le futur.

 

Un symbole plus qu’un crime

 

L’histoire d’Honorine est tragique et exceptionnelle. Mais elle est aussi symptomatique d’une réalité sociale plus large : des familles précarisées, des femmes isolées, des dettes lourdes, et des institutions incapables de tendre une main. La justice peut juger l’acte, mais elle ne peut pas juger la détresse humaine.

 

Cette affaire est un miroir tendu à la société : Kinshasa, et plus largement le Congo, doit décider si elle préfère punir la misère ou prévenir la détresse. Le geste d’une mère avec un jouet restera dans les mémoires comme un avertissement : la survie, lorsqu’elle devient impossible, ne se contente plus de silence.