Retrait des pays de l’AES de la CEDEAO : un tournant économique à double tranchant

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Le retrait conjoint du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), annoncé en août 2023, et désormais en cours d’officialisation, marque une rupture sans précédent dans l’histoire de la région. Ces trois pays, regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), entendent bâtir une nouvelle vision d’intégration économique et politique centrée sur leurs intérêts communs. Mais ce tournant, à la fois ambitieux et risqué, bouleverse les équilibres régionaux.

Une sortie orchestrée par l’AES

Le retrait des trois pays intervient dans un contexte de tensions persistantes avec la CEDEAO, notamment après les sanctions imposées à la suite des coups d’État successifs dans ces États sahéliens. L’AES, constituée en réponse à cette pression, se positionne comme une alternative pour repenser leur coopération régionale.

Avec des projets ambitieux comme la création d’une armée commune de 5 000 hommes et l’instauration d’un passeport commun, effectif dès le 29 janvier 2025, l’AES affirme son intention de développer une zone de solidarité renforcée. Ces initiatives visent à contourner les impacts du retrait tout en offrant une base pour une intégration économique plus ciblée.

Les répercussions économiques pour les membres de l’AES

  1. Une déconnexion progressive des circuits régionaux

Le départ de la CEDEAO expose les économies des trois pays à une perte d’accès aux grands marchés ouest-africains, notamment dans le commerce, les services financiers et la mobilité des capitaux.

Par exemple, les entreprises burkinabè, maliennes et nigériennes, qui dépendent des corridors commerciaux reliant les ports de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Bénin, pourraient subir un ralentissement logistique et une hausse des coûts de transport.

De même, la coopération avec des institutions financières régionales comme la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC) pourrait être remise en question, limitant l’accès à des financements pour les grands projets.

  1. Un coup dur pour les banques, assurances et fintechs

Les banques maliennes, burkinabè et nigériennes, souvent intégrées dans des groupes opérant à l’échelle régionale (Coris Bank, Orabank), pourraient voir leurs transactions transfrontalières affectées par une fragmentation du système financier régional.
Les entreprises de fintech, en plein essor dans la région, pourraient être freinées par une réduction des opportunités d’expansion régionale. Les opérateurs de mobile money, très utilisés au Sahel, risquent de perdre des clients en raison de nouvelles restrictions sur les flux financiers.

  1. Des opportunités limitées mais ciblées

En revanche, l’intégration au sein de l’AES pourrait favoriser une concentration des échanges commerciaux entre les trois pays, stimulant ainsi les industries locales comme l’agriculture, les énergies renouvelables et les services de base.
Le projet d’armée commune pourrait également dynamiser certains secteurs, comme la construction et l’équipement militaire, en générant de nouvelles opportunités pour les entreprises locales.

Les impacts sur la CEDEAO

  1. Une perte stratégique majeure

La sortie de ces trois États fragilise la CEDEAO, qui perd une part importante de son territoire et de sa population. Ces pays représentent une zone stratégique, confrontée à des défis sécuritaires majeurs liés au terrorisme. Leur retrait pourrait limiter la capacité de l’organisation à répondre efficacement aux menaces régionales, particulièrement avec la montée en puissance d’une armée sahélienne indépendante.

  1. Une pression sur l’UEMOA

Même si les pays de l’AES restent membres de l’UEMOA, leur retrait de la CEDEAO pourrait susciter des tensions au sein de l’union monétaire. Une éventuelle ambition de l’AES de créer sa propre monnaie pourrait remettre en question le rôle du franc CFA dans la région et poser des défis pour la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

  1. Une reconfiguration des partenariats

La CEDEAO pourrait également être confrontée à des défis pour maintenir ses relations avec des partenaires internationaux, comme l’Union européenne, qui pourrait hésiter à investir dans une région de plus en plus fragmentée.

Vers une intégration sahélienne réussie ?

  1. Les promesses de l’AES

Le passeport commun et la force militaire unifiée représentent des outils puissants pour renforcer la solidarité entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Une meilleure coordination pourrait permettre de sécuriser les corridors commerciaux, développer les infrastructures transfrontalières et stabiliser la région sur le long terme.

  1. Les défis majeurs

Cependant, le succès de cette intégration repose sur plusieurs conditions :

Une stabilité politique durable : Les trois pays devront éviter de nouveaux troubles politiques susceptibles de compromettre leurs ambitions.

Des moyens financiers conséquents : La mise en place d’une armée commune et de grands projets d’intégration nécessitera des ressources considérables dans un contexte de budgets fragiles.

Un soutien international : L’AES devra convaincre ses partenaires internationaux de son sérieux et de sa capacité à créer un cadre économique et sécuritaire stable.

Un pari audacieux, mais risqué

Le retrait des pays de l’AES de la CEDEAO représente un tournant historique pour la région. Bien que ce choix puisse permettre au Mali, au Burkina Faso et au Niger de se réinventer sur le plan économique et politique, il expose également ces pays à des risques majeurs, notamment en matière de commerce et de financement.

Le défi pour l’AES sera de prouver qu’une coopération sahélienne peut offrir des résultats concrets à court terme tout en construisant une intégration régionale solide et autonome. Quant à la CEDEAO, elle devra redoubler d’efforts pour s’adapter à ce nouvel ordre régional et éviter une fragmentation plus large de l’Afrique de l’Ouest.

JM Gogbeu