À Washington, en marge des Réunions de printemps 2025 du FMI et de la Banque mondiale, des experts africains et mondiaux se sont réunis pour repenser la manière dont les pays africains sont évalués sur les marchés financiers. Leur objectif : créer un système de notation de crédit plus juste, transparent et adapté aux réalités du continent. Ce dialogue, organisé par des institutions comme l’Union africaine et le PNUD, marque une étape clé dans la lutte contre les obstacles financiers qui freinent le développement africain.
Des notations qui pèsent lourd
Les notations de crédit, attribuées par des agences comme Moody’s, S&P et Fitch, déterminent la capacité d’un pays à emprunter de l’argent sur les marchés mondiaux. Une bonne note signifie des prêts à faible coût. Une mauvaise note, en revanche, peut faire grimper les taux d’intérêt, rendant la dette insoutenable. En Afrique, où plus de 30 pays sont notés, ces évaluations ont un impact direct sur les budgets publics et les projets de développement.
Pourtant, le système actuel est critiqué. Seuls deux pays africains, le Botswana et l’Île Maurice, bénéficient d’une note de catégorie investissement, synonyme de confiance des investisseurs. Les autres, malgré un PIB continental de plus de 3 000 milliards de dollars, sont souvent jugés trop risqués. Résultat : des coûts d’emprunt élevés, qui aggravent la pression sur des économies déjà fragilisées par la volatilité des marchés et les crises climatiques.
Des obstacles structurels
Pourquoi les notations africaines sont-elles si défavorables ? Les experts pointent plusieurs problèmes. D’abord, les données sur lesquelles s’appuient les agences sont souvent incomplètes ou obsolètes. Ensuite, les méthodes d’évaluation manquent de transparence, ce qui alimente les soupçons de partialité. Enfin, les gouvernements africains ont rarement les moyens ou l’expertise pour dialoguer efficacement avec les agences et contester des notations qu’ils jugent injustes.
Le Ghana, par exemple, a vu sa note dégradée en 2022, ce qui a compliqué son accès aux marchés financiers et précipité un défaut de paiement. La Zambie, elle aussi, a souffert de notations sévères, limitant sa capacité à financer des infrastructures essentielles. Ces cas illustrent un paradoxe : un continent riche en ressources et en potentiel économique est souvent perçu comme un pari risqué.
Une solution africaine en vue
Face à ces défis, les discussions de Washington ont mis l’accent sur des réformes concrètes. Une proposition centrale est la création d’une Agence africaine de notation de crédit (AfCRA). Contrairement aux craintes de certains, cette agence ne chercherait pas à distribuer des notes flatteuses, mais à offrir une évaluation plus précise, tenant compte des spécificités africaines. Elle compléterait les agences mondiales, en apportant une voix crédible et indépendante.
Les experts ont également appelé à renforcer les capacités locales. Cela passe par de meilleures données économiques, des institutions plus robustes et un dialogue régulier avec les agences de notation. Des initiatives comme l’Initiative sur les notations de crédit, portée par AfriCatalyst et le PNUD, visent à outiller les gouvernements africains pour qu’ils puissent défendre leurs intérêts face aux investisseurs.
Un enjeu mondial
Ce débat ne concerne pas seulement l’Afrique. Les agences de notation, souvent critiquées pour leur rôle dans des crises passées, comme celle des subprimes en 2008, sont sous pression pour revoir leurs pratiques. En 2025, alors que l’Afrique du Sud préside le G20 et que l’Union africaine devient membre permanent, le continent a une occasion unique de pousser pour une réforme de l’architecture financière mondiale.
Les bénéfices d’un système plus équitable seraient immenses. Des notations plus justes réduiraient les coûts d’emprunt, libérant des fonds pour l’éducation, la santé ou les infrastructures. Elles attireraient aussi davantage d’investisseurs, renforçant la confiance dans les marchés africains. Comme l’a souligné un représentant de la Commission économique pour l’Afrique, un écosystème de notation sain n’est pas seulement une question de chiffres : c’est une plateforme pour mobiliser des capitaux et soutenir les ambitions de développement du continent.
Vers un avenir plus autonome
Le dialogue de Washington n’est qu’un début. Les prochaines étapes incluent le développement de l’AfCRA, des investissements dans les systèmes de données et une collaboration accrue entre les institutions africaines et les agences mondiales. Ces efforts, s’ils aboutissent, pourraient transformer la manière dont l’Afrique est perçue sur la scène financière mondiale.
En attendant, les discussions ont envoyé un message clair : l’Afrique ne veut plus être un simple spectateur dans l’évaluation de sa solvabilité. Elle entend jouer un rôle actif, pour que ses ressources et son potentiel soient enfin reconnus à leur juste valeur.