Sur les rives du fleuve Zambèze, la Zambie et le Zimbabwe rêvent grand. Leur projet ? Construire le barrage de Batoka Gorge, un colosse de 181 mètres de haut capable de produire 2 400 mégawatts d’électricité. De quoi éclairer des millions de foyers, relancer l’industrie et exporter de l’énergie dans une région assoiffée d’électricité. Mais ce rêve se heurte à un obstacle de taille : les dettes écrasantes des deux pays. Malgré ces chaînes financières, les deux nations relancent ce projet titanesque. Une audace qui pourrait changer la donne, ou s’effondrer sous le poids des défis.
Une région plongée dans le noir
La Zambie et le Zimbabwe suffoquent sous les coupures d’électricité. Les délestages, parfois quotidiens, paralysent les usines, les hôpitaux et les foyers. Le barrage de Kariba, leur principale source d’énergie, tourne au ralenti, victime de sécheresses récurrentes. Batoka Gorge, situé 50 km en aval des chutes Victoria, promet de doubler leur capacité hydroélectrique. Avec 1 200 mégawatts pour chaque pays, ce projet pourrait non seulement stabiliser leurs réseaux, mais aussi alimenter le Southern African Power Pool, un marché régional de l’électricité.
Imaginé dès les années 1970, Batoka a longtemps été un mirage. Les tensions entre les deux pays, puis les crises économiques, ont repoussé les travaux. En 2019, un consortium réunissant General Electric et Power China semblait prêt à lancer le chantier. Mais la pandémie de Covid-19 et des problèmes de financement ont tout stoppé. En 2023, la Zambie a annulé ce contrat, citant des irrégularités. Aujourd’hui, le projet renaît de ses cendres, mais dans un contexte économique plus hostile que jamais.
La dette, un boulet à 5 milliards
Le coût de Batoka est estimé à 5 milliards de dollars. Une somme colossale pour deux pays en pleine tourmente financière. La Zambie, en défaut de paiement depuis 2020, croule sous une dette équivalant à 120% de son PIB. Le Zimbabwe, lui, traîne une dette de 17 milliards de dollars, soit 60% de son économie. Ces fardeaux limitent leur capacité à emprunter ou à garantir les prêts des investisseurs privés, essentiels pour ce projet en partenariat public-privé.
Comment financer un barrage quand les caisses sont vides ? Les deux gouvernements comptent sur des investisseurs internationaux, attirés par un modèle éprouvé : construire, exploiter, puis transférer l’infrastructure aux États. Mais les créanciers, échaudés par les crises passées, hésitent. Les taux d’intérêt élevés et les risques politiques freinent les engagements. Pourtant, l’Autorité du fleuve Zambèze, qui pilote le projet, reste optimiste. Une équipe dédiée mobilise déjà des partenaires, avec un objectif clair : sélectionner de nouveaux investisseurs d’ici septembre 2025.
Une relance à haut risque
Cette relance est un pari audacieux. L’appel d’offres, ouvert jusqu’en avril 2025, vise à attirer des géants de l’énergie prêts à miser sur l’Afrique australe. Si le financement est sécurisé d’ici 2026, la construction pourrait démarrer, avec une mise en service prévue à l’horizon 2035. Mais le chemin est semé d’embûches. Outre la dette, les deux pays doivent rassurer sur leur stabilité politique et leur capacité à honorer leurs engagements.
Le projet suscite aussi des inquiétudes environnementales. Le barrage, niché dans une gorge étroite, évitera de déplacer des populations, mais il menace des écosystèmes uniques, comme l’habitat de l’aigle de Verreaux. Les chutes Victoria, joyau touristique classé à l’UNESCO, pourraient voir leur débit altéré, au risque de freiner les visiteurs. Et puis, il y a le climat. Les sécheresses, de plus en plus fréquentes, ont déjà réduit de moitié la production de Kariba en 2019. Batoka pourrait-il subir le même sort ?
Une lueur d’espoir régionale
Malgré ces défis, Batoka incarne une rare coopération entre la Zambie et le Zimbabwe. Dans une région où les rivalités l’emportent souvent, ce projet commun est un symbole d’unité. Certains rêvent même plus grand : détourner des eaux du fleuve Congo pour doper le Zambèze. Une idée séduisante, mais qui soulève des questions techniques et diplomatiques.
Pour l’heure, Batoka reste une promesse fragile. Si la Zambie et le Zimbabwe parviennent à surmonter leur crise de la dette, ce barrage pourrait illuminer leur avenir et celui de l’Afrique australe. Mais le temps presse. Chaque jour sans électricité creuse un peu plus le fossé entre leurs ambitions et la réalité. Le monde regarde, curieux de voir si ce pari énergétique défiera les chiffres rouges.