Alors que le Ghana importe chaque année pour près de 162 millions de dollars de sucre, une initiative d’envergure pourrait bien changer la donne. Le conglomérat nigérian Dangote Group, dirigé par l’influent homme d’affaires Aliko Dangote, prévoit d’implanter une gigantesque sucrerie à Kwame-Danso, dans la région de Bono, à l’ouest du pays. Ce projet ambitieux s’inscrit pleinement dans la stratégie du gouvernement ghanéen visant à transformer le pays en une puissance industrielle régionale.
Prévue pour entrer en service en 2027, l’usine sucrière affichera une capacité impressionnante : 12 000 tonnes de canne à sucre pourront y être traitées chaque jour. Cette capacité repose sur l’exploitation d’un domaine de 25 000 hectares de terres irriguées, exclusivement dédiées à la culture de la canne. En plus du sucre raffiné, l’usine produira de la mélasse et de l’éthanol, contribuant ainsi à diversifier les débouchés industriels. Bien que le montant exact de l’investissement n’ait pas été divulgué, les experts du secteur estiment qu’il se chiffre à plusieurs centaines de millions de dollars.
Ce projet structurant prend tout son sens dans le cadre du programme présidentiel « One District, One Factory » (1D1F), lancé en 2017. Conçu pour stimuler l’industrialisation à travers le pays, le programme vise à doter chaque district d’au moins une unité de production. À Kwame-Danso, localité rurale longtemps en marge des grands projets nationaux, l’implantation du groupe Dangote ravive l’espoir. Les autorités locales voient déjà dans cette usine une source de dynamisme économique et social, avec des milliers d’emplois attendus dans l’agriculture, la transformation, la logistique ou encore la maintenance.
Au-delà des chiffres, c’est une transformation de fond que vise le Ghana. Réduire sa dépendance aux importations de sucre permettrait non seulement d’alléger la pression sur les réserves en devises, mais aussi de réorienter les ressources publiques vers des secteurs vitaux comme la santé ou l’éducation. Ce projet pourrait également engendrer un véritable écosystème agro-industriel dans une zone longtemps négligée, créant une dynamique vertueuse au bénéfice des communautés locales.
Le choix de Kwame-Danso n’est d’ailleurs pas anodin. Dans cette localité du district de Sene West, où l’agriculture de subsistance est encore la norme, l’arrivée d’un géant industriel a tout d’un tournant. L’installation de l’usine devrait entraîner une amélioration des infrastructures locales – routes, électricité, irrigation – et offrir aux petits producteurs de canne des débouchés durables. Pour de nombreux habitants, c’est l’opportunité d’un avenir meilleur qui se profile, à condition que la promesse devienne réalité.
Mais l’enthousiasme s’accompagne aussi de prudence. La culture de la canne à sucre est réputée consommatrice en eau, et la pression sur les ressources hydriques pourrait soulever des enjeux environnementaux. De plus, la réussite du projet repose en grande partie sur la disponibilité d’une main-d’œuvre formée, ce qui reste un défi dans cette région peu dotée en compétences techniques. Malgré tout, la solidité du groupe Dangote, déjà rodé aux projets industriels d’envergure, suscite une certaine confiance. Le processus d’implantation est en bonne voie, avec les autorisations administratives obtenues et les terrains déjà acquis.
À une échelle plus large, le projet de Kwame-Danso pourrait repositionner le Ghana comme un acteur incontournable du sucre en Afrique de l’Ouest. En couvrant d’abord sa demande intérieure, le pays pourrait rapidement viser les marchés voisins. L’éthanol produit localement pourrait également trouver des débouchés dans les secteurs de l’énergie ou des biocarburants, encore très dépendants des sources thermiques.
Cette ambition s’inscrit dans une trajectoire plus globale portée par le gouvernement ghanéen : faire du pays un hub industriel résilient et autonome. Avec une croissance du PIB estimée à environ 5% en 2024 selon le FMI, le Ghana mise sur les partenariats publics-privés pour franchir un nouveau cap. L’usine de Kwame-Danso pourrait, à ce titre, devenir un modèle reproductible dans d’autres districts, et renforcer la crédibilité du programme 1D1F.
À terme, si le calendrier est respecté et les obstacles surmontés, l’usine pourrait incarner plus qu’un site de production : un symbole national. Celui d’un Ghana qui ne se contente plus d’importer, mais qui transforme ses ressources, crée de la valeur et regarde l’avenir avec confiance. Un pari industriel audacieux, qui ne demande qu’à être concrétisé.