Dans les rues animées de Dakar ou d’Abidjan, payer un taxi, acheter des légumes ou envoyer de l’argent à un proche se fait souvent d’un simple clic sur un téléphone. Le mobile money, ces services financiers via téléphonie mobile, révolutionne l’Afrique de l’Ouest. Mais cette innovation, qui démocratise l’accès à la finance, pose un casse-tête aux banquiers centraux. Une étude récente du COFEB, le centre de recherche de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), explore comment le mobile money perturbe la gestion de l’économie dans l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Décryptage.
Une révolution financière en marche
Le mobile money a transformé la vie de millions de personnes dans l’UEMOA, qui regroupe huit pays, dont le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Mali. En 2023, plus de 40% des adultes de la région utilisaient des services comme Orange Money ou Wave pour leurs transactions quotidiennes. Cette explosion, dopée par la pénétration des smartphones et des réseaux mobiles, a permis à des populations jusque-là exclues du système bancaire d’épargner, de transférer ou de payer sans compte en banque. Résultat : l’inclusion financière progresse à grands pas, stimulant la consommation et les petits commerces.
Mais ce succès a un revers. L’argent circule désormais plus vite, souvent hors des circuits bancaires traditionnels. Quand une vendeuse de marché encaisse un paiement par mobile money, cet argent ne dort pas forcément dans une banque. Il peut être immédiatement transféré ou dépensé. Cette accélération complique la tâche de la BCEAO, chargée de contrôler la quantité d’argent en circulation pour stabiliser l’inflation et soutenir la croissance.
Un défi pour la politique monétaire
La politique monétaire, c’est l’art de jongler avec les taux d’intérêt ou les réserves des banques pour influencer l’économie. Si l’inflation grimpe, la BCEAO peut resserrer les vannes du crédit. Si la croissance ralentit, elle peut injecter plus d’argent. Mais le mobile money brouille les cartes. Selon l’étude du COFEB, les transactions numériques augmentent la vitesse de circulation de la monnaie, rendant les outils classiques moins efficaces. Par exemple, une baisse des taux d’intérêt peut ne pas stimuler l’économie si l’argent circule déjà à toute vitesse via des portemonnaies électroniques.
Pire, une partie de cet argent échappe au radar de la banque centrale. Les opérateurs de mobile money, comme les géants des télécoms, ne sont pas des banques. Ils ne sont pas soumis aux mêmes règles, comme déposer des réserves auprès de la BCEAO. Résultat : la banque centrale a moins de contrôle sur la masse monétaire, un peu comme un chef d’orchestre qui perdrait la moitié de ses musiciens.
Un équilibre à trouver
Faut-il freiner le mobile money pour reprendre la main ? Pas si simple. L’étude souligne que ces services dopent l’économie réelle. En facilitant les échanges, ils soutiennent les petites entreprises et réduisent la dépendance au cash, souvent coûteux à gérer dans des zones rurales. Freiner cette dynamique risquerait de freiner l’inclusion financière, un objectif clé pour l’UEMOA, où moins de 30% des adultes avaient un compte bancaire en 2020.
La BCEAO explore donc des solutions. Elle pourrait renforcer la régulation des opérateurs de mobile money, en les obligeant à collaborer plus étroitement avec les banques. Une autre piste est de moderniser ses outils, en surveillant en temps réel les flux numériques pour mieux anticiper leur impact. Certains experts suggèrent même que la BCEAO développe sa propre monnaie digitale, une sorte de franc CFA numérique, pour garder une longueur d’avance.
Un enjeu régional et mondial
L’UEMOA n’est pas seule face à ce défi. En Afrique de l’Est, le Kenya, pionnier du mobile money avec M-Pesa, a vu sa banque centrale adapter ses politiques pour intégrer ces flux. À l’échelle mondiale, les banques centrales, de la Chine à l’Europe, s’interrogent sur l’impact des fintechs et des cryptomonnaies. Ce qui se joue dans l’UEMOA pourrait inspirer d’autres régions.
Vers un avenir hybride
Le mobile money est là pour rester. Il redessine l’économie ouest-africaine, en offrant des opportunités mais aussi des défis. Pour la BCEAO, l’enjeu est clair : embrasser l’innovation sans perdre le contrôle. Les mois à venir diront si elle parvient à trouver cet équilibre délicat. En attendant, dans les marchés et les villages de l’UEMOA, le téléphone continue de sonner comme une caisse enregistreuse, symbole d’un futur où la finance est à portée de main.