Depuis Bamako, la tension monte d’un cran entre le gouvernement malien et la multinationale canadienne Barrick Gold. Au cœur de ce conflit : le complexe minier Loulo-Gounkoto, l’un des plus vastes d’Afrique de l’Ouest, désormais au centre d’une bataille judiciaire, fiscale et politique.
Le 8 mai 2025, le gouvernement malien a saisi le tribunal de commerce de Bamako pour demander la mise sous administration provisoire du complexe. Objectif : confier la gestion quotidienne des mines à un administrateur désigné par la justice malienne. Une mesure exceptionnelle, que Barrick qualifie de « tentative illégitime de prise de contrôle », selon un communiqué officiel publié sur son site le 26 mai 2025.
« Barrick s’oppose fermement à cette demande, injustifiée sur le plan juridique et pratique », affirme l’entreprise, qui continue d’assurer le paiement des salaires malgré la suspension des exportations d’or.
L’audience devant le tribunal s’est tenue le 15 mai. Le jugement est attendu pour le 2 juin. En parallèle, Barrick a entamé une procédure d’arbitrage international, preuve que le conflit dépasse désormais les frontières nationales.
Une crise alimentée par plusieurs fronts
Les tensions ne datent pas d’hier. Depuis plusieurs mois, les relations se sont dégradées entre la société canadienne et l’État malien. En janvier, Bamako a saisi environ trois tonnes d’or appartenant à Barrick, estimant que l’entreprise n’avait pas honoré certaines obligations fiscales. La firme réfute ces accusations, dénonçant une interprétation unilatérale des règles comptables.
Plus grave encore, quatre employés de Barrick sont détenus depuis plus de cinq mois. La direction de l’entreprise dénonce une « détention illégale », sans que des charges précises aient été rendues publiques à ce jour. À cela s’ajoute une mesure de suspension des exportations d’or prise en novembre 2024, qui bloque toujours les opérations minières.
« Ces mesures vont à l’encontre du climat des affaires et de la sécurité juridique des investissements », s’inquiètent plusieurs observateurs du secteur, relayés par GlobeNewswire et Mining.com.
Un nouveau code minier, un tournant stratégique
En toile de fond, se dessine une volonté de reprise en main du secteur extractif par les autorités de transition. Le nouveau code minier malien, adopté en 2023, marque un tournant. Il prévoit une augmentation des taxes, mais surtout une participation obligatoire de l’État à hauteur de 35% dans tout nouveau projet minier – contre 20% auparavant.
Ce durcissement inquiète les investisseurs. Selon Reuters, plusieurs dirigeants de compagnies minières étrangères appellent à une « révision urgente » du texte pour éviter une fuite des capitaux.
« La nouvelle loi crée trop d’incertitudes. Les investisseurs ont besoin de règles stables et prévisibles », déclarait récemment un PDG d’une société aurifère opérant au Mali.
Des enjeux stratégiques pour l’économie malienne
Pour le Mali, l’enjeu est de taille. Le secteur minier représente environ 10% du PIB et 75% des recettes d’exportation du pays. Le complexe Loulo-Gounkoto, en particulier, génère des milliers d’emplois directs et indirects, tout en alimentant les caisses publiques.
Mais à trop vouloir contrôler, l’État risque d’asphyxier la machine. Les experts s’accordent à dire qu’un blocage prolongé pourrait affaiblir la production aurifère nationale, miner la confiance des investisseurs, et peser lourdement sur les recettes fiscales.
Barrick, pour sa part, réaffirme son engagement en faveur du dialogue. La compagnie rappelle qu’elle opère au Mali depuis plus de 25 ans, et qu’elle a contribué au développement des infrastructures locales, à la formation et à la création d’emplois.
« Nous restons ouverts à une solution négociée dans l’intérêt des deux parties », assure-t-on à Toronto.
Un test grandeur nature pour la souveraineté économique en Afrique
Ce bras de fer n’est pas un cas isolé. Il illustre une tendance de fond : la volonté des États africains de tirer une plus grande valeur ajoutée de leurs ressources naturelles. Mais cette ambition légitime se heurte souvent à des réalités économiques, juridiques et diplomatiques complexes.
Entre revendications souverainistes, intérêts stratégiques et impératifs économiques, le Mali joue une partie serrée. Le différend avec Barrick pourrait bien devenir un précédent scruté de près par d’autres États producteurs et investisseurs étrangers.
Le contentieux entre Barrick Gold et le gouvernement malien est loin d’être un simple litige commercial. Il pose une question centrale : comment concilier souveraineté économique et attractivité des investissements dans un contexte où les ressources naturelles deviennent un enjeu géopolitique majeur.