Alors que plusieurs pays africains basculent dans l’autoritarisme, les conséquences sur l’économie se font déjà sentir. Le recul des libertés publiques compromet la stabilité institutionnelle, décourage l’investissement et freine les réformes.
En 2025, un constat s’impose : la dynamique démocratique en Afrique est en net recul. Selon le rapport 2025 de l’Institut Varieties of Democracy (V-Dem), 46 pays dans le monde connaissent une autocratisation accrue. Le continent africain n’est pas épargné : il compte à lui seul plusieurs États concernés par ce glissement autoritaire, notamment la Tunisie, le Niger ou encore l’Ouganda. La liberté d’expression, l’indépendance de la justice et l’intégrité des processus électoraux y sont en nette régression.
Si les implications politiques de ce phénomène sont évidentes, ses conséquences économiques, plus diffuses, n’en sont pas moins redoutables. Dans un environnement où les institutions se fragilisent, les incertitudes s’accroissent, dissuadant les investisseurs et compromettant les politiques de développement.
Une dérive autoritaire qui s’accentue
Depuis une décennie, la liberté d’expression a reculé dans 12 pays africains, indique V-Dem. Ce recul s’accompagne souvent d’atteintes à l’indépendance de la justice et à l’ouverture de l’espace civique. La Tunisie, qui avait incarné les espoirs du printemps arabe, illustre ce retournement de tendance. Depuis 2021, le président Kaïs Saïed concentre les pouvoirs entre ses mains, suspend les garanties démocratiques et restreint les médias. Le score de démocratie libérale du pays est passé de 0,71 à 0,29 en dix ans, selon l’indice V-Dem.
Le Niger, quant à lui, a basculé dans une crise institutionnelle après le coup d’État militaire de juillet 2023. La fermeture de l’espace civique et la suspension des aides internationales ont déjà commencé à peser sur l’économie. D’autres pays comme l’Ouganda connaissent également un affaiblissement démocratique progressif, marqué par des élections contestées et une concentration du pouvoir exécutif.
Zambie : une lueur fragile dans un paysage assombri
Tous les États africains ne cèdent pas à la dérive autoritaire. La Zambie se distingue depuis l’élection d’Hakainde Hichilema en 2021. Ce changement de leadership a permis de rétablir certaines libertés fondamentales, comme la liberté de la presse et l’indépendance de la commission électorale. En 2024, V-Dem note une amélioration sur trois des principaux indicateurs démocratiques.
Cependant, ces progrès restent précaires. L’économie zambienne, fortement dépendante des exportations de cuivre, reste confrontée à une dette extérieure élevée et à une inflation persistante. Le climat démocratique favorable pourrait favoriser les réformes structurelles, mais toute instabilité institutionnelle menacerait ces avancées.
Moins de démocratie, moins de croissance ?
Le lien entre recul démocratique et ralentissement économique devient de plus en plus évident. Les investisseurs internationaux privilégient des environnements stables, transparents et prévisibles. En Tunisie, les investissements directs étrangers ont chuté de 25% entre 2021 et 2024, selon les données de la Banque mondiale. Une gouvernance autoritaire accroît le risque politique, freine la confiance et complique la planification à long terme.
L’autocratisation affecte aussi l’innovation et la compétitivité. Dans des contextes où la société civile est muselée et les médias sous contrôle, les débats publics s’éteignent. Or, ces échanges sont essentiels pour alimenter des réformes économiques ambitieuses. Au Niger, la fermeture de nombreuses ONG internationales après le coup d’État a privé plusieurs régions de programmes vitaux en matière d’éducation, de santé et d’infrastructures.
En Ouganda, les irrégularités électorales de 2021 ont accentué la défiance des citoyens et alimenté des tensions sociales. Le pays, qui affichait une croissance de 6,7% du PIB en 2019, a vu ce taux tomber à 4,6% en 2023, selon le FMI. Ce ralentissement s’explique aussi par des facteurs exogènes, mais le climat politique y a clairement joué un rôle.
Renforcer les institutions pour stimuler le développement
Face à cette tendance, le rapport V-Dem appelle au renforcement des institutions électorales et judiciaires, à la protection des médias indépendants et au soutien actif de la société civile. L’Union africaine, de son côté, est régulièrement critiquée pour son silence ou son attentisme face aux coups d’État et aux dérives autoritaires.
Le lien entre gouvernance démocratique et développement économique est de plus en plus reconnu. Comme le soulignait en 2020 Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce, « le commerce peut impulser le développement, mais il faut des institutions solides » (Le Point, octobre 2020). Les réformes économiques ne peuvent porter leurs fruits sans un socle institutionnel crédible.
Un choix décisif pour l’Afrique
La trajectoire politique actuelle de l’Afrique influencera profondément son avenir économique. La Zambie offre une démonstration que la démocratie peut créer les conditions d’une relance inclusive. À l’inverse, la Tunisie, le Niger ou encore l’Ouganda rappellent que le recul démocratique a un coût élevé.
Dans un contexte de crise de la dette, de ralentissement mondial et d’enjeux climatiques majeurs, l’Afrique ne peut se permettre de fragiliser encore ses institutions. Si les libertés fondamentales continuent de s’éroder, le continent risque de compromettre durablement son potentiel de croissance.