Colorants interdits en Occident, tolérés en Afrique : le double standard de Nestlé

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Colorants interdits en Occident, tolérés en Afrique : le double standard de Nestlé
Colorants interdits en Occident, tolérés en Afrique : le double standard de Nestlé

Alors que Nestlé s’apprête à supprimer tous les colorants artificiels de ses produits vendus aux États-Unis d’ici mi-2026, aucun engagement similaire n’est envisagé pour ses gammes commercialisées en Afrique. Une stratégie différenciée qui soulève des interrogations sur les priorités du géant agroalimentaire et son traitement des marchés dits émergents, où les standards sanitaires restent moins contraignants.

Une réforme stratégique face à la pression réglementaire américaine

En avril 2025, la Food and Drug Administration (FDA) et le Département américain de la santé ont annoncé l’interdiction progressive de huit colorants synthétiques, soupçonnés de provoquer des effets nocifs tels que l’hyperactivité chez les enfants ou des risques cancérigènes. Nestlé, qui réalise plus d’un tiers de ses ventes mondiales aux États-Unis (32,1 milliards de francs suisses en 2023), a choisi d’anticiper cette échéance réglementaire.

L’entreprise, qui avait déjà entamé cette transition en 2015 en retirant les colorants artificiels de ses barres chocolatées Butterfinger, affirme que 90% de ses produits commercialisés aux États-Unis sont désormais exempts de ces additifs. Il s’agit maintenant d’étendre cet effort à l’ensemble de son portefeuille : des boissons instantanées Nescafé aux aliments pour bébés de la marque Gerber. Une démarche coûteuse mais présentée comme un choix aligné sur les attentes croissantes des consommateurs américains en matière de transparence et de santé.

En Afrique, la réforme attendra

Sur le continent africain, où Nestlé est présent dans plus de 20 pays, aucune mesure équivalente n’est à l’ordre du jour. Pourtant, l’Afrique subsaharienne représente un marché important : la région Asie-Océanie-Afrique (AOA) a généré 18% des ventes mondiales du groupe au premier semestre 2024, soit 8,4 milliards de francs suisses. Mais les marges y sont nettement inférieures : 13,6% contre 21,2% en Amérique du Nord.

Le Nigeria illustre bien cette dynamique contrastée. Malgré une forte croissance du chiffre d’affaires (+61% au premier trimestre 2025), Nestlé Nigeria a dû composer avec une perte nette de 79,5 milliards de nairas en 2023, causée en grande partie par des pertes de change. En 2025, la situation s’est redressée, avec un bénéfice net de 30,18 milliards de nairas. En Afrique du Sud, des produits comme Maggi et Cremora enregistrent une croissance à deux chiffres, mais les marges restent fragilisées par les coûts logistiques et la volatilité des matières premières.

Faiblesse des régulations et arbitrages économiques

Pourquoi Nestlé ne mène-t-elle pas la même réforme en Afrique ? D’abord, les incitations réglementaires y sont nettement moindres. Contrairement à la FDA ou à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), la plupart des autorités sanitaires africaines ne restreignent pas l’usage de colorants comme le Red 40 (E129) ou le Yellow 5 (E102). L’étiquetage spécifique n’est pas obligatoire, et les priorités gouvernementales portent davantage sur l’accès alimentaire que sur la qualité nutritionnelle fine.

Ensuite, la stratégie de prix joue un rôle crucial. Dans un contexte où une large partie de la population vit avec moins de 1,25 dollar par jour, les consommateurs africains privilégient l’abordabilité. Nestlé mise sur des produits bon marché et populaires, souvent enrichis en micronutriments, mais difficiles à reformuler sans en augmenter le prix. Modifier la composition de Maggi ou Nescafé pour y supprimer les colorants synthétiques impliquerait des investissements techniques et marketing qui pourraient peser sur un marché déjà peu rentable à l’échelle du groupe.

Une responsabilité différenciée selon les marchés

Ce double standard alimente un débat éthique ancien autour des pratiques des multinationales en Afrique. Dans les années 1970, Nestlé avait déjà été au cœur d’un scandale sur la commercialisation de lait infantile en poudre dans des zones sans accès sécurisé à l’eau potable, entraînant un boycott mondial. Plus récemment, en 2023, la société a été éclaboussée par des révélations en France sur la qualité sanitaire de ses eaux embouteillées (Perrier, Vittel), mettant une nouvelle fois en lumière sa gestion différenciée des risques selon les territoires.

Des interrogations émergent aujourd’hui sur les réseaux sociaux : Nestlé pourrait-elle réorienter vers l’Afrique ou l’Amérique latine les produits contenant encore des colorants artificiels une fois bannis aux États-Unis ? Aucune preuve n’étaye pour l’heure cette hypothèse, mais la méfiance grandit face à l’opacité de certaines pratiques commerciales.

Un marché d’avenir encore marginalisé

Nestlé affirme pourtant croire au potentiel africain. Le groupe a investi 1,2 milliard de dollars sur le continent au cours des cinq dernières années, notamment dans des usines au Nigeria, en Afrique du Sud et en République démocratique du Congo. Mais ces investissements visent principalement à renforcer la production locale et à gagner des parts de marché, non à aligner les standards de qualité sur ceux des pays occidentaux.

Avec une population jeune et urbaine en forte croissance, l’Afrique représente un terrain stratégique à moyen terme. Reste à savoir si Nestlé choisira d’y appliquer les mêmes exigences sanitaires qu’aux États-Unis ou en Europe. Car au-delà des pressions réglementaires, la question posée est simple : les consommateurs africains méritent-ils des produits de même qualité que les autres ?

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