Le 30 juin 2025, le groupe TF1 a lancé TF1+, sa plateforme de streaming gratuite, dans 21 pays d’Afrique francophone. Avec un catalogue riche de 20 000 heures de programmes et un modèle financé par la publicité, le groupe français entend s’imposer sur un continent où la transition numérique s’accélère. Mais il devra faire face à un concurrent de taille : Canal+, leader historique de la télévision payante en Afrique, solidement ancré dans les foyers, ainsi qu’à d’autres géants du streaming comme Netflix, Showmax ou encore YouTube. Dans un marché en pleine mutation, où l’accès à internet mobile progresse rapidement, une bataille stratégique s’engage pour capter l’attention des téléspectateurs africains.
La stratégie TF1+ : la gratuité comme levier d’entrée
En choisissant un modèle économique entièrement gratuit, financé par la publicité, TF1+ se positionne à contre-courant des offres payantes classiques. « Notre ambition est d’être le leader du streaming francophone en Afrique », a déclaré Rodolphe Belmer, PDG du groupe TF1, dans un communiqué officiel. La plateforme cible en priorité des marchés à fort potentiel comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Cameroun et la République Démocratique du Congo, avec une extension prévue vers le Maroc.
Son catalogue mêle séries françaises, films internationaux, programmes jeunesse, mais aussi des productions africaines conçues pour séduire les audiences locales. Cette approche inclusive vise à répondre à une attente croissante de contenus représentatifs et accessibles. Dans une région où 40% des anciens abonnés Netflix évoquent le coût comme principale raison de désabonnement (données Dataxis), la gratuité constitue un argument commercial majeur.
Mais cette promesse ne suffira pas. Car dans de nombreuses zones du continent, la connectivité demeure le principal obstacle. Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), seulement 28% de la population africaine utilise régulièrement internet. Pour réussir, TF1+ devra donc adapter ses flux à des débits faibles et renforcer son catalogue de productions locales, comme le souligne Bernard Azria, expert en audiovisuel africain.
Canal+ : un empire bien implanté
Face à cette offensive, Canal+ ne reste pas inactif. Présent sur le continent depuis plusieurs décennies, le groupe français s’appuie sur un modèle payant solidement structuré et une stratégie d’implantation de proximité. Fort de 9,69 millions d’abonnés en Afrique et en Asie, Canal+ revendique la première place sur le marché francophone, notamment grâce à une offre premium et des contenus exclusifs.
Son infrastructure satellite, couplée à 17 000 points de vente répartis sur le continent, constitue un atout logistique indéniable. Canal+ s’appuie également sur son partenariat avec SES pour diffuser 400 chaînes, dont 250 en français ou en langues locales. Le sport reste un pilier central de son offre, avec les droits exclusifs sur la Ligue des champions et la Coupe d’Afrique des Nations. Parallèlement, le groupe développe activement ses investissements dans les contenus africains via A+ Ivoire ou encore Marodi TV au Sénégal.
Introduit à la Bourse de Londres en décembre 2024, Canal+ a enregistré un chiffre d’affaires de 6,45 milliards d’euros en 2024, en hausse de 3,6% par rapport à l’année précédente. L’entreprise vise les 11 millions d’abonnés en Afrique à l’horizon 2028. Sa prise de participation à hauteur de 45,2% dans le groupe sud-africain MultiChoice, leader en Afrique anglophone avec 21 millions d’abonnés, pourrait faire émerger un géant continental comptant plus de 30 millions d’abonnés si l’offre de rachat à 2,9 milliards de dollars est finalisée d’ici octobre 2025.
Toutefois, cette puissance a un coût : l’abonnement Canal+ démarre à partir de 10 dollars par mois, une barrière non négligeable pour de nombreux foyers africains. En Côte d’Ivoire, 67% de l’audience regarde néanmoins les chaînes du groupe (A+ Ivoire, Canal+ Sport), signe de son ancrage profond.
Une concurrence plurielle et féroce
TF1+ entre sur un terrain déjà disputé. Showmax, la plateforme sud-africaine soutenue par MultiChoice, totalise 2,1 millions d’abonnés en Afrique subsaharienne. Elle séduit par son abonnement mobile à bas coût (2,11 dollars) et par son accent mis sur les productions locales, comme l’émission Big Brother Naija.
Netflix, pour sa part, revendique 1,8 million d’abonnés sur le continent. Le géant américain a annoncé un investissement de 175 millions de dollars dans les productions africaines, avec des titres phares comme Blood & Water ou The Black Book. Disney+, en croissance, capitalise sur son catalogue mondial (Marvel, Pixar…), tandis que YouTube continue de dominer par son accessibilité et la richesse de ses contenus générés par les utilisateurs.
Les plateformes locales ne sont pas en reste. iROKOtv (spécialisé dans le Nollywood) ou AfrolandTV (contenus panafricains) s’appuient sur un ancrage culturel fort pour fidéliser leurs publics. Un rapport de PwC révèle que 76% des Sud-Africains préfèrent les contenus locaux, soulignant l’importance de la contextualisation culturelle dans le succès des plateformes.
TF1+, encore peu implanté, devra composer avec cette réalité : en Afrique subsaharienne, Showmax et Canal+ contrôlent respectivement 50% et 30% du marché du streaming.
Une croissance sous contrainte
Le marché africain du streaming, évalué à 1,7 milliard de dollars en 2024, pourrait atteindre 2,7 milliards d’ici 2028 selon Statista. Avec une population jeune, urbaine et ultra-connectée dans les grandes villes, le potentiel est immense. Mais les défis restent de taille : la couverture internet demeure limitée, avec seulement 50% de la population subsaharienne ayant accès à internet mobile, et l’accès au haut débit reste marginal, surtout en zone rurale.Autre menace structurelle : la piraterie. Des plateformes comme Goojara captent 13% du marché sud-africain en contournant les offres légales, pesant sur les revenus des acteurs officiels.
Un marché à haut risque mais à fort potentiel
Dans ce contexte, l’arrivée de TF1+ modifie les équilibres. En misant sur la gratuité, la plateforme française espère contourner les freins économiques et séduire un public jeune, connecté, mais souvent sensible au prix. Face à elle, Canal+ conserve un avantage structurel grâce à son réseau, ses exclusivités sportives et ses productions locales.
Le paysage du streaming africain est désormais un champ de bataille où s’affrontent modèles économiques, stratégies culturelles et infrastructures techniques. Comme le résume Bernard Azria, « les plateformes qui gagneront seront celles qui allient accessibilité et résonance culturelle ». Pour TF1+, la conquête de l’Afrique ne fait que commencer.