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  • 30/12/2025

Côte d'Ivoire / Cacao : Quand les chiffres officiels se heurtent à la réalité des producteurs

Dans les villages cacaoyers, le débat n’est plus technique. Il est vital.

Alors que le Conseil du Café-Cacao (CCC) assure que la campagne 2025-2026 est bien engagée, avec 70% de la production acheminée vers les ports et 2 800 milliards de FCFA déjà distribués aux producteurs, les voix qui montent du terrain racontent une autre histoire. Une histoire faite d’attente, de méfiance et d’argent qui tarde à arriver.

 

Cette fracture entre communication institutionnelle et vécu paysan s’est cristallisée après la sortie publique de la plateforme SYNAPCI–ANAPROCI, qui a accusé le CCC de blocages dans la commercialisation et exigé la démission de son directeur général. En réponse, le régulateur a opposé des chiffres, des volumes et des flux portuaires, affichant une filière qu’il juge maîtrisée et en voie de stabilisation.

 

Mais sur le terrain, l’équation est moins rassurante.

 

À Sipilou, dans l’Ouest ivoirien, les sacs de cacao sont bien là. L’argent, beaucoup moins. « Les acheteurs ne viennent presque pas. Quand ils passent, ils promettent de revenir nous payer. Cela fait deux mois que nous attendons », confie N’guéssan N’Dri, producteur de café-cacao. La crainte de livrer sans être payé alimente une paralysie silencieuse. Résultat : des stocks qui s’accumulent et une campagne que certains qualifient déjà d’échec.

 

Même constat à Guého. Les magasins sont pleins, mais les familles manquent de liquidités. « Les fêtes ont été très difficiles. Tout ce que nous avions a servi à payer l’école des enfants », explique Coulibaly Bamori. Faute de revenus issus du cacao, les ménages se replient sur des cultures vivrières ou de petits métiers. Une stratégie de survie, pas un choix économique.

 

Dans la Marahoué, à Bouaflé, le problème ne se limite pas à la lenteur des ventes. Certains producteurs assurent avoir livré leur cacao depuis novembre, sans avoir perçu le moindre paiement. « Une partie est au port, une autre au magasin, mais rien n’est tombé », témoigne Loukou Kouassi Augustin. Les conséquences sont immédiates : enfants renvoyés de l’école, soins médicaux reportés, précarité accrue dans des zones où le cacao reste la principale, voire l’unique, source de revenus.

 

À Dabouyo, le tableau est tout aussi sombre. Des camions seraient immobilisés depuis plusieurs semaines après dépôt de cargaison. « Le cacao est là, mais les planteurs souffrent. Et personne ne nous explique ce qui se passe », déplore Kouakou Francis. Le sentiment d’abandon nourrit une colère diffuse, d’autant plus vive que la période des fêtes approche.

 

Ces témoignages, recueillis dans plusieurs régions de production, mettent en lumière un décalage central : l’acheminement du cacao vers les ports ne garantit pas un paiement rapide et effectif aux producteurs. Autrement dit, la performance logistique affichée par le CCC ne suffit pas à dissiper la crise de trésorerie vécue dans les villages.

 

C’est précisément ce point que soulignaient déjà les responsables du SYNAPCI et de l’ANAPROCI lors de leur conférence de presse. Selon eux, la filière ne souffre pas d’un problème de production, mais d’un dysfonctionnement de la commercialisation et du financement, aggravé par des lenteurs administratives et un manque de confiance entre producteurs et acheteurs.

 

Face à ces critiques, le CCC met en avant les sanctions contre les acheteurs véreux, l’amélioration de la fluidité des opérations et la montée en puissance de l’Organisation interprofessionnelle agricole (OIA), présentée comme un cadre légitime de dialogue. Sur le papier, les instruments existent. Sur le terrain, les producteurs attendent surtout des résultats concrets : être payés, et être payés à temps.

 

À l’heure où l’ultimatum lancé par la plateforme SYNAPCI–ANAPROCI arrive à échéance, la tension reste palpable dans les zones cacaoyères. Derrière la bataille de chiffres et de légitimité, une question demeure entière : comment une filière qui revendique des milliards distribués peut-elle laisser une partie de ses producteurs sans revenus pendant plusieurs mois ?

 

Tant que cette interrogation restera sans réponse claire, le fossé entre gouvernance et monde rural continuera de se creuser. Et dans une économie où le cacao fait vivre des millions de personnes, ce fossé n’est pas seulement économique. Il est social, et potentiellement explosif.