Par un tour de passe-passe, le marocain Saham a acquis 21 % du capital de son concurrent Sunu,en juillet 2017, au grand dam de son fondateur . Mais, au fond, pourquoi Saham est-il entré « par effraction » au tour de table d’un groupe que Pathé Dione et sa famille détiennent toujours à plus de 50 % ?
Le 6 juillet 2017, après avoir racheté les parts de Mamadou Talata Doula, Saham évoque publiquement un simple investissement financier, comme le groupe en fait un peu partout.Un argument qui ne convainc alors pas grand monde sur le marché.
Le 27 juillet, le Centrafricain Ousmane Bocoum annonce à son tour avoir céder ses parts , environ 2,6 % . Puis le 28 juillet à la surprise générale, on apprend qu’Alioune Ndour Diouf , un proche de Pathé Dione, a vendu la totalité des parts qu’il détenait dans Sunu à Saham. Pour Pathé Dione, qui refusait toutes les offres, le coup est rude. Ainsi, sans que personne ne s’y attende, l’actionnariat de Sunu, construit en 1998 autour de proches du fondateur, s’est fissuré. Fin juillet, Saham possède officiellement, par le truchement d’une société mauricienne, 21 % du capital de Sunu Finances, le holding de tête du groupe et l’un de ses principaux concurrents.
Vu la réputation d’habile et rusé investisseur de Moulay Hafid Elalamy (actionnaire majoritaire de Saham et ministre), cette montée à plus de 20 % du capital, le 28 juillet suggère une autre hypothèse.
Saham aurait-il l’ambition de prendre le contrôle de Sunu ?
« La technique est simple : rentrer petit, par effraction, puis monter au capital, lentement mais sûrement », analyse un financier. « C’est bien un raid que Saham est en train de mener », tranche un autre. Pour ce dernier, c’est une première dans le monde de la finance en Afrique subsaharienne francophone. « Jusqu’à présent, toutes les grandes opérations de fusion-acquisition s’étaient faites d’un commun accord. » souligne t-il.
Saham aurait-il l’ambition de prendre le contrôle de Sunu ? Peu probable. D’abord parce que Pathé Dione y règne en maître. Il est majoritaire au capital avec sa famille, dont ses deux enfants, actifs dans le groupe. Ensuite parce qu’un protocole d’accord lie Sunu à un géant de l’assurance depuis 1998. « Si nous voulons céder notre business, c’est Axa qui est prioritaire, et vice versa pour ses activités africaines », insiste Pathé Dione.
Enfin, une prise de contrôle n’aurait pour Saham rien d’évident d’un point de vue stratégique. Les deux groupes sont présents dans une douzaine de pays, principalement en Afrique subsaharienne francophone, mais aussi au Nigeria ou au Ghana.
Sunu est certes leader en assurance-vie, un domaine dans lequel Saham est moins développé, mais les marges y sont aussi moins élevées.
Pour certains observateurs, Saham – désormais en position de demander un poste d’administrateur au sein de Sunu Finances – pourrait faire un autre pari. Saham, maintenant en position de force au tour de table de Sunu peut demander des comptes, mener une guerre en interne, avec plusieurs issues possibles. « Soit revendre ses parts à Pathé Dione à un prix très élevé, soit négocier certains actifs intéressants, ou revendre ses parts à des investisseurs financiers. »
Saham est entré dans le holding de tête, et non dans le sous-holding Sunu Participations, qui détient directement les filiales et prend toutes les décisions opérationnelles. Cependant cette montée au tour de table de Sunu complique l’équation pour le groupe subsaharien.
Sunu, gagne du terrain
Selon certaines estimations, Sunu pourrait avoir besoin d’une trentaine de milliards de francs CFA – un chiffre qu’il ne confirme pas – pour satisfaire aux nouvelles exigences réglementaires de capital minimal. Ces exigences seront de 3 milliards de F CFA (4,5 millions d’euros) en 2019 puis de 5 milliards en 2021. Si Pathe DIONE doit en plus racheter les parts de Saham, l’addition pourrait être salée.
« Nos deux principales filiales ont déjà dépassé les 5 milliards de capital requis » rétorque Pathé Dione. « Et pour les autres, nous pouvons lever autant de dettes que nous le souhaitons car notre endettement est très faible. C’est d’ailleurs ce que nous allons faire. » affirme t-il.
Longtemps considéré comme conservateur et même comme un peu passif, Sunu a montré ces dernières années qu’il pouvait aller de l’avant. Il a ainsi lancé dans la plupart des pays où il opère des filiales d’assurance-dommage.
Entre fin 2015 et début 2016, il a injecté plus de 10 millions d’euros dans Equity Assurance, s’ouvrant d’un coup les portes de trois pays : le Nigeria, le Ghana et le Liberia. Sur les traces de l’ivoirien Nsia, il finalise actuellement la reprise d’une banque togolaise, la BPEC, pour une vingtaine de millions d’euros.Signe d’une forte croissance, ses revenus ont d’ailleurs bondi entre 2015 et 2016 de 152 à 192 millions d’euros.
« Face à des concurrents aux poches bien pleines et aux ambitions débordantes, Sunu n’avait pas trop le choix » commente un spécialiste du secteur. Swiss Re, la Banque nationale du Canada et Amethis ont investi environ 200 millions d’euros dans NSIA. Le sud-africain Sanlam a misé plus de 600 millions de dollars dans Saham. »
Pour Sunu, la montée éclair de Saham pourrait marquer le point de départ d’une nouvelle époque. Elle annonce en tout cas une bataille d’assureurs homérique, comme le secteur n’en a probablement jamais connu.
Le patron de Sunu organise déjà la défense de son groupe. Depuis l’assemblée générale qui s’est tenue le 28 juillet, une société détenant directement ou indirectement des actions dans Sunu devra dorénavant soumettre au préalable toute cession de parts à l’approbation des actionnaires.
Avec Jeune Afrique
Deux géants face à face
Saham Assurance
Fondé en 2005 au Maroc
Présence : 21 pays subsahariens, 3 pays maghrébins, Arabie saoudite, Liban
Revenus : environ 1 milliard d’euros
Employés : 3 000
Actionnaires : Saham (Maroc) et Sanlam (Afrique du Sud)
Sunu Assurances
Créé en 1998 en France
Présence : 14 pays subsahariens
Revenus : environ 200 millions d’euros
Employés : 1 800
Actionnaires : Pathé Dione (Sénégal) et plusieurs minoritaires (dont Saham…)