L’activité de Cofina se situe entre la banque et la microfinance, vous parlez de mésofinance, pourriez-vous nous en dire plus ?
Jean Luc Konan : Cofina a pris le pari de se présenter comme le modèle panafricain de la finance inclusive, terme auquel nous préférons le mot de mésofinance, terme que nous avons aidé à vulgariser. Il vient du mot grec mesos,le milieu, et la mésofinance décrit des services financiers qui s’adressent aux entrepreneurs de taille trop grande pour être considérés par la microfinance, mais encore pas suffisamment structurés pour espérer être financés par les banques traditionnelles. C’est ce que les anglais appellent le missing middle, le chaînon manquant entre la microfinance et la banque. Et, aujourd’hui, l’on peut dire que c’est à peu près 90% des opérateurs gérant une activité économique qui se situent dans ce secteur. Il s’agit des petites et moyennes entreprises qui sont concernées par la mésofinance que nous avons décidé de servir depuis quelques années.
Auriez-vous des exemples de projets financés par Cofina ?
Jean Luc Konan : Au cours des 5 dernières années, nous avons pu financer 60 000 projets pour plus de 350 milliards de FCFA à des clients qui, à plus de 70%, accédaient pour la première fois à un mode de financement formel. Je peux en citer plusieurs mais j’aime bien parler d’une success story ici en Côte d’Ivoire. Il s’agit d’une personne qui, à l’époque, en rentrant des Etats Unis et étant passionnée de restauration, a ouvert avec son épouse un restaurant à Abidjan où j’ai eu l’occasion de déjeuner.
Et, à cette occasion, en discutant avec lui, il se plaignait de ne pas trouver de banque qui l’accompagne dans son développement alors même que son restaurant ne désemplissait pas. Je l’ai invité à venir dans l’une de nos agences et, trois semaines après, il avait un premier financement puis un deuxième puis un troisième… C’est aujourd’hui un client qui a ouvert 4 restaurants et un service traiteur en quatre ans seulement, une véritable success story qui illustre bien les potentialités de notre marché.
Comment êtes-vous arrivé à créer Cofina ?
Jean Luc Konan : Depuis mon tout jeune âge, j’ai créé des sociétés qui ont eu des fortunes diverses alors que j’avais pourtant des emplois très sécurisés. Je me suis dis que quitte à créer quelque chose autant le faire dans le métier que je connais, c’est à dire la finance, et autant créer quelque chose de différent. Pendant une vingtaine d’années d’expérience professionnelle dans le secteur de la banque, j’ai réalisé que de nombreux clients venaient nous voir avec des dossiers, pour une grande part d’entre eux, tout à fait finançables, mais je n’avais aucune structure opérationnelle qui me permettait de les financer. Bien que j’ai été jusqu’à la position de Directeur Général, je n’avais pas les pouvoirs de financer ces petites et moyennes entreprises qui souvent avaient des dossiers intéressants mais qui ne correspondaient à notre cible. Pourquoi ? Parce que la première chose que le banquier vous demande ce sont vos trois derniers états financiers audités. Je l’ai même expérimenté lorsque j’ai créé le groupe Cofina, la plupart de nos amis étaient des banquiers mais je n’arrivais pas à avoir des banques qui nous donnaient, éventuellement, des lignes de refinancement. On peut dire que ces entrepreneurs sont des exclus du système financier. Mais pas les exclus auxquels on pense qui sont ceux de la nano ou la microfinance pour qui, parfois, il existe des ONG ou un système de financement familial par des proches.
Non, les opérateurs dont je parle ont des besoins qui sont devenus trop importants pour être supportés par ce type de financement, et pourtant ils sont exclus et représentent 90% des opérateurs économiques du continent. Donc, nous nous sommes dit qu’il fallait mettre en place des outils qui permettent de supporter et de financer ces opérateurs. Et, évidemment, lorsque nous nous sommes lancés, tout le monde a dit que nous étions complètement fous, que nous allions faire faillite, sauf que l’on avait préparé notre plan en travaillant sur le vrai besoin de financement et les moyens à mettre en place pour éviter justement la volatilité liée à ces clients. Et, bien sûr, nous arrivons aussi à avoir des profils de clients qui sont fiables.
Imaginez, c’est comme si l’on voulait préparer un enfant à être un athlète, un coureur de haut niveau, en passant directement de la phase quatre pattes à la phase course, sans qu’il apprenne correctement à marcher au préalable. C’est quasi impossible. C’est la même chose pour le tissu économique africain: si ces PME ne sont pas financées aujourd’hui, on n’aura pas de grandes multinationales demain. Il y a donc un cap pour lequel il fallait que l’on se pose des questions et auquel il fallait que l’on apporte des réponses.
Votre groupe Cofina est un exemple de vecteur de la finance inclusive en Afrique. Après 6 ans, où en est votre groupe ?
Jean Luc Konan : Nous venons de boucler notre cinquième exercice. On estime que beaucoup reste à faire, même s’il est vrai que nous avons accompli pas mal de choses. En tant qu’entrepreneur, j’estime que nous avons parcouru trois des quatre étapes que j’appelle le cercle vertueux des entrepreneurs et que je souhaite à chacun.
On a commencé par du love money.Au début de toute entreprise, il y a une personne et une idée, et ceux qui font confiance se joignent à vous. Après cette période – souvent trois ans donc -, on arrive à se développer avec un financement bancaire classique, et quand on va passer cette étape et que tout se passe bien, on arrive à faire entrer dans son capital des professionnels. C’est ce que nous avons fait avec un fonds de capital-risque qui nous a rejoints. Nous avons passé trois des quatre étapes. Et la quatrième, qui n’est pas la seule, mais, idéalement, c’est de pouvoir rentrer en Bourse, ce que nous envisageons dans quelques années. Donc, nous sommes passés réellement du stade de start-up à celui d’une entreprise cotée.
Quand on fait le bilan, depuis notre premier établissement en 2014 en Guinée Conakry, nous sommes présents aujourd’hui dans 6 pays: la Guinée Conakry, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Maliet le Congo Brazzaville. Nous attendons cette année des agréments de la Banque centrale pour le Burkina Faso et le Togo et nous avons mis en place une représentation commerciale, bientôt opérationnelle, à Paris, afin de permettre à la diaspora de ramener son épargne vers le continent dans nos guichets africains afin de pouvoir leur accorder des financements lors de leurs projets éventuels à leur retour.
En termes de performance client, nous avions un total bilan il y a quatre ans de 15 mds qui est passé aujourd’hui à plus de 150 mds de FCFA. On est passé de quelques milliers de clients à près de 150 000, et au cours des ces cinq années, nous avons pu octroyer plus de 350 mds FCFA à plus de 60 000 clients. En termes de levée de fonds, le fonds d’investissement Mediterrania Capital est rentré dans notre capital, et on a pu réaliser, cette année, la première opération de titrisation de portefeuilles de créances jamais réalisée par une institution financière dans notre sous-région. La souscription a d’ailleurs été réalisée à plus de 150%, ce qui montre l’engouement des investisseurs pour ce type de financement. Notre filiale ivoirienne a été sacrée meilleur système financier décentralisé pour l’année 2018 en Côte d’Ivoire.
Votre groupe connaît une forte expansion en Afrique, les problèmes de financement des PME sont-ils les mêmes dans les divers pays de la sous-région ?
Jean Luc Konan : Je dirais que dans la globalité, ce sont les mêmes car, d’un côté, on a des entrepreneurs qui cherchent des financements, de l’autre, des institutions qui cherchent à financer des projets mais qui ne sont pas formatés pour les premiers. Mais ces deux groupes ne communiquent pas. Les banques n’ont pas le décodeur pour pouvoir financer les PME. Pourtant, ce n’est pas faute d’essayer. De nombreuses institutions financières créent des filiales spécialisées pour mieux comprendre le métier. Donc, dans l’ensemble, la problématique est la même mais dès que l’on descend dans le détail des pays, ou même des régions, il y a des différences. C’est d’ailleurs pourquoi les produits de financement ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre.
Vous avez développé Cofina start-up house, incubateur de projets. Quel rôle jouez-vous auprès des porteurs de projets que vous accompagnez ?
Jean Luc Konan : C’est le premier incubateur de start-up intégrées. Notre première cohorte de 10 a été sélectionnée parmi 300 dossiers et nous allons reprendre un cycle en 2019.
La start-up a besoin que l’on comprenne son activité, qu’on lui donne des rudiments de gestion et qu’on la mette éventuellement en relation avec des partenaires ou des clients qui sont dans son secteur. Et, surtout, nous les finançons au niveau de leur activité opérationnelle.
Le conseil et le financement vont de pair. Donner des conseils sans financement, c’est un peu facile, et donner de l’argent sans aider, c’est souvent une catastrophe, car les start-uppers sont rarement des gestionnaires. Ils sont bons techniciens dans leur domaine mais pas forcément des experts de la gestion d’entreprise.
Les start-up que nous accueillons restent à demeure pendant au moins une année, nous les mettons en rapport avec nos équipes techniques de finance, de gestion, de marketing, de vente. Puis avec des business angels qui leur font passer leurs premières interviews, au cours desquelles on leur demande en général de compléter leurs équipes car, la plupart du temps, seul le fondateur du projet vient présenter son projet alors que c’est souvent le moins éloquent. C’est tout cela que l’on met en place et qui permet à chacun de se situer et de mieux préparer la suite.
Avec votre filiale CPS, vous rentrez sur un modèle de B2C nouveau, comment le concept est-il accueilli ?
Jean Luc Konan : Cette nouvelle offre correspond à une demande de tous nos clients qui veulent pouvoir accéder à nos services financiers sans avoir à se déplacer loin de chez eux. Nous avons donc créé des agences de proximité, des cash point services, ayant analysé qu’au delà de 15 minutes de marche, nos clients estimaient que l’accès au service était trop difficile. C’est ce que nous appelons physicalisation, un mélange de digital et de physique, car dans notre région, les clients ont encore besoin d’une présence physique.
La fintech africaine semble avoir pris une longueur d’avance sur le reste du monde, comment conserver cet avantage historique ?
Jean Luc Konan : Je serai un peu plus nuancé car l’Afrique aujourd’hui n’a aucune licorne, ni de société avec une capitalisation au-delà du milliard de dollars. En revanche, il est vrai que le continent a probablement une longueur d’avance dans le domaine de la finance numérique. Grâce à un taux de pénétration du mobile exponentiel dû à des infrastructures filaires quasi inexistantes. Et grâce à la loi du grand nombre, cela a permis des avancées considérables. Comme les téléphones double SIM, inutiles dans les autres régions du monde car les réseaux étaient interopérables. Nous bénéficions ici d’un esprit d’innovation et d’une grande aptitude créative. Le client ne consomme plus comme avant, il faut rester à l’écoute du client et lui proposer des produits dont il a réellement besoin et qu’il utilisera tout seul, telles les plateformes mobiles permettant des paiements ou des retraits, la géolocalisation, l’auto-scoring des besoins de financement, etc. Il y a encore plein de choses à faire, mais l’on peut dire que la prochaine décennie nous révélera de nombreuses nouveautés.
Avec Air Côte d’Ivoire – le Mag