En Afrique subsaharienne, les pays doivent miser sur la diversification de leurs économies pour espérer rattraper leur retard sur les pays riches. C’est ce qu’a indiqué Luc Eyraud, directeur des études régionales du FMI pour l’Afrique subsaharienne, dans un entretien exclusif.
Dans son nouveau rapport sur les perspectives économiques régionales en Afrique subsaharienne, le FMI anticipe une croissance en hausse jusqu’en 2025. Quels facteurs soutiennent ces perspectives de croissance ?
Nous anticipons en effet une accélération de la croissance entre 2023 et 2024 de 3,4% en 2023 à 3,8% en 2024. Les causes de ce renforcement de la croissance sont multiples, certaines étant communes à tous les pays et certaines étant spécifiques. Parmi les causes communes à tous les pays, nous avons la détente des taux d’intérêt mondiaux avec une amélioration de cette situation très difficile de pénurie de financement, dont les effets se dissipent progressivement. Des pays comme la Côte d’Ivoire ont pu retourner sur les marchés financiers internationaux, en émettant une euro-obligation en janvier de cette année. Nous avons également un renforcement de la croissance dans certaines zones « partenaire commercial » des pays d’Afrique subsaharienne comme les USA ou la zone euro. Concernant les facteurs spécifiques à certains pays il faut mentionner que deux des pays qui croissent le plus vite de toute l’Afrique subsaharienne sont dans la zone de l’UEMOA, à savoir le Niger et le Sénégal. Et leurs croissances sont dues à des projets gaziers et pétroliers.
Quels sont les principaux risques menaçant la croissance en Afrique subsaharienne ?
Il y a deux risques principaux qui pèsent les économies d’Afrique subsaharienne. Le premier est un risque externe, lié au changement climatique, avec une région qui est de plus en plus frappée par des épisodes climatiques extrêmes du type inondation ou sécheresse. Le second est un risque domestique, lié aux incertitudes politiques dans la mesure où 2024 est une année particulière qui connaîtra au total 18 élections nationales. Cela crée donc une certaine incertitude sur la continuité des politiques économiques et sur les élans de réforme.
Pourquoi le Nigeria perd-il sa position de première économie africaine au profit de l’Afrique du Sud ?
La raison est très simple, et c’est que le taux de change du Naira (monnaie du Nigeria, ndlr), s’est déprécié de 65% depuis début 2023. A titre illustratif, lorsqu’un individu a ses revenus en monnaie domestique, il perd du pouvoir d’achat en dollars, lorsqu’il y a une dépréciation du taux de change. C’est la même chose pour les pays, dont le revenu ici est le PIB. Quand on a une dépréciation du taux de change, le PIB en dollars diminue.
Dans la CEDEAO on note que le Burkina Faso est le premier investisseur en Côte d’Ivoire, le Mali le premier client, et le Nigeria le premier fournisseur. Dans quelle mesure les dynamiques politiques de la sous-région sont des facteurs à suivre pour une croissance stable et durable en Côte d’Ivoire ?
Du point de vue du FMI, l’intégration régionale est très importante pour la croissance. Cela crée des débouchés, des opportunités d’investissements, cela augmente la taille des marchés et donc cela est fondamental. Et cela vaut non seulement pour la CEDEAO mais également pour l’Afrique subsaharienne dans son ensemble. Nous avons fait des estimations de l’impact de la ZLECAf, et nous avons pu identifier les bénéfices potentiels de cet accord phare de l’intégration africaine, pour les pays du continent. Donc il est important de faire attention aux dynamiques de fragmentation, aux dynamiques de tensions qui imposent des restrictions sur les échanges entre les pays car cela peut avoir des coûts économiques.
Dans le contexte de sortie de crise que nous connaissons aujourd’hui, quelles sont les recommandations du Fonds pour que les pays d’Afrique subsaharienne maintiennent le cap de la croissance économique ?
Il y a une recommandation phare, et c’est la diversification économique. Au FMI, nous comparons les différentes croissances des pays d’Afrique subsaharienne, et nous avons observé que les pays qui étaient peu diversifiés, notamment ceux dont les économies sont très concentrées vers les matières premières ou produits alimentaires, croissent deux fois moins vite que les pays dont la production est plus diversifiée comme la Côte d’Ivoire. C’est une source de préoccupation très importante.
Les pays dont la croissance est principalement basée sur les ressources naturelles, ont une croissance du revenu par tête entre 0 et 1% à moyen terme, alors que les pays ayant une économie diversifiée ont une croissance par tête entre 3 et 4% à moyen terme. Quand on a une croissance par tête de 3 à 4% par tête on peut rattraper son retard et converger vers les pays plus riches et faire du développement économique. Mais quand on a une croissance du revenu par tête de 0 à 1%, on n’arrive pas à converger ou à rattraper son retard.
Avec Agence ecofin