Alors que de nombreuses banques centrales desserrent prudemment l’étau monétaire, la BCEAO, elle, reste campée sur une ligne rigoureuse. En 2024, l’institution a réussi à maintenir la stabilité monétaire dans un contexte mondial mouvementé. Mais derrière ce calme apparent, des tensions émergent : la dynamique économique reste fragile, et les équilibres budgétaires encore instables.
Une stratégie de maîtrise assumée
La BCEAO n’a pas cédé à la tentation de l’expansion monétaire excessive. En 2024, elle a préféré garder ses taux directeurs inchangés, tout en assurant une bonne liquidité du marché interbancaire. Le taux moyen à une semaine – principal baromètre du marché – s’est établi à 6,23%, offrant aux banques un terrain prévisible pour financer l’économie, sans alimenter l’inflation.
Dans le même temps, la masse monétaire a progressé de 8,8%. Cette hausse, alimentée par un spectaculaire rebond des actifs extérieurs nets (+318,9%), est le signe d’un environnement extérieur favorable, notamment grâce à un excédent de la balance des paiements. Résultat : la croissance a tenu bon, et l’inflation, bien que présente, a été contenue à 3,5%.Marché financier : la prudence des investisseurs
Mais la sérénité affichée sur le front monétaire ne doit pas masquer certains signaux d’alerte. Sur le marché des titres publics, les investisseurs ont montré une préférence marquée pour les bons à court terme, au détriment des obligations à plus longue maturité. Une inversion qui reflète une méfiance croissante vis-à-vis de la dette publique à moyen terme, dans un contexte de fragilité budgétaire.
Cette tension latente complique la tâche des États membres, qui peinent encore à diversifier leur stratégie de financement. La BCEAO, de son côté, ne peut pas tout faire : si la liquidité est là, encore faut-il que la confiance suive.
Des prévisions optimistes… mais conditionnelles
Officiellement, les perspectives sont bonnes. Pour 2025, la croissance de l’Union est attendue à 6,3%, puis à 5,9% en 2026. Cette trajectoire repose sur l’essor des exportations pétrolières (au Niger et au Sénégal), la reprise de l’investissement privé et une stabilité macroéconomique maintenue.
L’inflation devrait, elle aussi, continuer à refluer : 2,7% en 2025, 2,5% en 2026. Une tendance alimentée par la baisse attendue des prix mondiaux du pétrole et des produits vivriers, mais aussi par une campagne agricole régionale plus favorable.
Mais ces prévisions restent suspendues à plusieurs inconnues. Le climat sécuritaire, toujours tendu dans certaines zones de l’Union, pourrait désorganiser les chaînes logistiques. Les tensions commerciales internationales, notamment avec le retour de politiques protectionnistes, pourraient aussi renchérir les coûts d’importation.
Le crédit privé : le maillon faible de la repriseAutre point noir : le crédit au secteur privé. En 2024, il n’a progressé que de 4,5%. Trop peu pour soutenir un véritable cycle d’investissement. Pour 2025, la BCEAO table sur un redressement à 8,6%, puis 9,5% en 2026. Mais là encore, tout dépendra de la capacité des banques à sortir de leur zone de confort – celle des titres publics – pour s’engager davantage auprès des entreprises.
Ce basculement ne sera possible qu’avec un renforcement de la solidité des États, une meilleure gestion du risque souverain, et une réforme des incitations bancaires. Tant que les obligations publiques rapporteront plus, à moindre risque, les PME resteront à la marge.
Un équilibre à reconquérirLa BCEAO a rempli son rôle : maintenir l’ancrage monétaire dans un environnement agité. Mais l’équation devient plus délicate. L’Union devra conjuguer discipline budgétaire, relance de l’investissement et mobilisation fiscale pour ne pas épuiser ses marges de manœuvre.
Le pilotage est maîtrisé. Mais le chemin reste étroit. Le défi des prochaines années sera de transformer cette stabilité monétaire en transformation structurelle. Et cela, la politique monétaire seule ne peut le garantir.