Appuyé par des investissements massifs venus de Chine, le Nigéria amorce une mutation majeure de sa politique minière. Le pays entend s’imposer dans la chaîne de valeur du lithium, ce métal critique pour la transition énergétique mondiale, en misant sur la transformation locale de ses ressources.
Depuis des décennies, le Nigéria exporte ses matières premières à l’état brut, sans véritable valorisation nationale. Mais cette dynamique pourrait changer. Selon une enquête de l’agence Reuters publiée le 27 mai 2025, le gouvernement nigérian déploie une nouvelle stratégie centrée sur le développement d’unités industrielles de traitement du lithium, un minerai stratégique pour les batteries des véhicules électriques et des équipements électroniques.
Deux premières usines prêtes à démarrer
Cette année marque une étape décisive. Deux grandes usines de transformation du lithium devraient entrer en service dans les prochains mois. La première, un projet de 600 millions de dollars à la frontière des États de Kaduna et du Niger, est attendue avant la fin du trimestre. Une seconde raffinerie, située en périphérie d’Abuja, est déjà en phase finale de construction. Ces deux infrastructures ouvrent la voie à une nouvelle approche : transformer sur place plutôt que d’exporter.
D’ici la fin du troisième trimestre 2025, deux autres unités devraient également voir le jour dans l’État de Nasarawa, voisin de la capitale. Si les délais sont tenus, quatre sites industriels seront opérationnels avant la fin de l’année, tous dédiés à la valorisation du lithium extrait localement.
Vers une montée en gamme de la chaîne de valeur
Ces investissements s’inscrivent dans une stratégie plus large d’industrialisation. Le Nigéria dispose de gisements importants de lithium à haute teneur, identifiés dès 2022 par l’Agence d’enquête géologique nationale. Plutôt que de céder ces ressources à faible prix sur les marchés internationaux, le gouvernement entend capter une plus grande part de la valeur ajoutée.
Pour ce faire, Abuja a adopté plusieurs mesures incitatives et contraignantes : restriction des exportations de minéraux bruts, exigence d’un plan de transformation locale pour toute nouvelle licence minière, et création d’une nouvelle entreprise publique capable de céder jusqu’à 75% de ses parts à des investisseurs privés, tout en gardant un rôle de supervision stratégique.
Cette orientation témoigne de la volonté des autorités de stimuler la création d’emplois qualifiés, de favoriser les transferts de technologies et de consolider les recettes fiscales issues du secteur extractif, qui représente aujourd’hui moins de 1% du produit intérieur brut, un paradoxe pour un pays aussi riche en ressources.
La Chine, partenaire industriel privilégié
Sur le terrain, les capitaux sont au rendez-vous. Les projets en cours sont financés à plus de 80% par des entreprises chinoises. Les groupes Jiuling Lithium Mining Company et Canmax Technologies, déjà bien implantés dans la chaîne d’approvisionnement mondiale des métaux critiques, sont à la manœuvre aux côtés de la société nigériane Three Crown Mines.
Cette implication chinoise s’inscrit dans une dynamique plus large de sécurisation des approvisionnements en lithium à l’échelle mondiale. Pékin, qui contrôle une part significative du raffinage mondial de métaux stratégiques, voit dans le Nigéria un maillon important de sa stratégie d’expansion économique sur le continent africain.
Un pari pour sortir de la dépendance pétrolière
Ce tournant intervient dans un contexte de remise en question du modèle économique nigérian, historiquement dominé par le pétrole. La volonté de diversifier les moteurs de croissance, face à la volatilité des cours et à l’impératif de transition énergétique, redonne de l’élan au secteur minier, longtemps négligé.
Reste à savoir si cette volonté politique se traduira, à moyen terme, par l’émergence d’un véritable tissu industriel local. Le défi ne réside pas uniquement dans l’implantation d’usines, mais dans la capacité du Nigéria à encadrer, réguler et pérenniser cette nouvelle dynamique. L’enjeu est clair : faire du lithium non pas une nouvelle rente, mais un levier de développement économique durable.