Le président sierra-léonais Julius Maada Bio succède à Bola Tinubu à la tête de la CEDEAO. Dans un contexte de turbulences politiques et de retrait de plusieurs États membres, il promet de recentrer l’institution sur la sécurité, la démocratie et les populations.
La CEDEAO change de capitaine à un moment critique de son histoire. Réunis à Abuja le dimanche 22 juin 2025, les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ont clos leur 67e session ordinaire par le passage symbolique de témoin entre Bola Ahmed Tinubu, président du Nigeria, et Julius Maada Bio, président de la Sierra Leone. Cette transition intervient alors que l’organisation régionale fait face à une remise en cause inédite de son autorité, sur fond de crises politiques persistantes et de menaces sécuritaires accrues.
Dans son discours de clôture, le président Tinubu a salué l’honneur qui lui a été fait durant son mandat et exprimé sa confiance dans l’avenir de l’organisation. « Je le fais avec un profond sentiment d’accomplissement et d’optimisme pour l’avenir de l’Afrique de l’Ouest », a-t-il déclaré, en remettant la présidence tournante à son homologue sierra-léonais. Il a toutefois rappelé les défis persistants qui menacent la stabilité régionale, insistant sur la nécessité de préserver les valeurs démocratiques et d’articuler l’intégration économique avec un environnement politique stable. « L’intégration économique ne peut s’imposer dans un environnement politique instable », a-t-il averti.
Le contexte de cette passation de pouvoir est lourd de tensions. En moins de trois ans, quatre pays membres – le Mali, le Burkina Faso, la Guinée et le Niger – ont rompu avec l’ordre constitutionnel. Ces régimes militaires, désormais réunis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont officiellement annoncé leur retrait de la CEDEAO début 2024. Cette fracture remet en cause l’unité et l’efficacité de l’organisation, traditionnellement fondée sur un principe de solidarité entre États membres.
Face à cette fragmentation, le président Maada Bio a présenté une feuille de route articulée autour de quatre priorités : rétablir l’ordre constitutionnel, renforcer la coopération sécuritaire, relancer l’intégration économique, et rétablir la crédibilité institutionnelle de la CEDEAO. Affirmant sa volonté d’un dialogue constructif avec les États en transition, il a déclaré : « Nous devons engager les gouvernements de transition de manière constructive et soutenir les États membres dans le renforcement des institutions démocratiques fondées sur l’État de droit. »
Ces objectifs sont d’autant plus ambitieux que la CEDEAO peine à traduire ses promesses économiques en résultats concrets. Le Schéma de libéralisation des échanges, censé favoriser un marché commun ouest-africain, ne représente qu’une part marginale des échanges extérieurs des pays membres – autour de 10%. La mise en place de la monnaie unique « Eco », maintes fois annoncée, est aujourd’hui au point mort, bloquée par des désaccords politiques et la méfiance entre zones monétaires.
Conscient de ces limites, Maada Bio appelle à faire des infrastructures régionales, des chaînes de valeur transfrontalières et du commerce intra-communautaire de véritables moteurs de création d’emplois. « Les chaînes de valeur régionales doivent devenir des moteurs de création d’emplois, de commerce et de résilience, notamment pour nos femmes et nos jeunes », a-t-il affirmé.
Sur le front sécuritaire, la situation est tout aussi préoccupante. La menace terroriste s’étend désormais au-delà du Sahel, touchant également les États côtiers comme le Bénin, le Togo ou la Côte d’Ivoire. L’ECOMOG, force militaire autrefois active dans la gestion des conflits régionaux, est aujourd’hui quasi-inexistante. Julius Maada Bio plaide pour une refonte de l’architecture sécuritaire, incluant le partage du renseignement et la mise en place de capacités de réponse rapide.
Mais au-delà des réformes institutionnelles et des projets économiques, c’est la reconquête de la légitimité populaire qui apparaît comme le défi central. Trop souvent perçue comme un cercle fermé de dirigeants, la CEDEAO peine à incarner une vision inclusive de la coopération régionale. « La CEDEAO doit se réformer pour devenir plus transparente, plus efficace et plus à l’écoute des besoins de ses populations », a martelé le nouveau président.
Dans un environnement régional où les aspirations démocratiques se heurtent aux réalités autoritaires, où la jeunesse réclame des réponses concrètes à ses attentes, la présidence de Maada Bio s’annonce comme un mandat sous pression. Sa capacité à transformer les intentions politiques en résultats tangibles sera déterminante pour l’avenir de la CEDEAO, et plus largement pour celui de l’intégration ouest-africaine.