La première visite officielle du Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko en Chine, du 21 au 28 juin 2025, ne relève pas d’un simple exercice diplomatique. Elle s’inscrit dans une démarche stratégique, orientée vers la redéfinition des relations économiques sino-sénégalaises à l’heure où le pays cherche à sortir d’un modèle de coopération jugé déséquilibré. À travers cette mission, le gouvernement affiche clairement son ambition : passer d’un statut de bénéficiaire à celui de partenaire co‑décisionnaire.
Depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre Dakar et Pékin en 2005, la Chine est devenue un acteur économique central au Sénégal. Selon les données officielles du Bureau d’Information Gouvernementale (BIC), plus de 2 000 milliards de FCFA ont été mobilisés sous forme de prêts préférentiels, subventions ou financements mixtes. Cette coopération a permis la réalisation de projets structurants : autoroutes (Ila-Touba, Thiès-Mbour-AIBD), universités, hôpitaux, forages, réseaux électriques, infrastructures sportives ou encore le BRT de Dakar.
Mais pour Ousmane Sonko, ce modèle, s’il a permis d’accélérer la modernisation du pays, reste à améliorer dans sa structure économique. Le Premier ministre entend rompre avec une coopération perçue comme déséquilibrée pour bâtir un partenariat plus équitable, reposant sur l’investissement productif, le transfert de technologies et la montée en compétences des acteurs nationaux. Cette volonté a été exprimée lors des forums économiques de Hangzhou, Tianjin et Pékin, où le chef du gouvernement sénégalais a invité les entreprises chinoises à renforcer leur présence dans l’agriculture, l’énergie, le numérique et l’industrialisation locale.
Un premier signal concret a été donné avec la signature de plusieurs mémorandums d’entente, dont un accord de prêt préférentiel de 100 millions de dollars destiné à étendre l’accès à l’eau potable en milieu rural. Ce financement s’inscrit dans la continuité d’un engagement plus large de la Chine à accompagner le Sénégal dans ses priorités de développement, en particulier dans les zones enclavées. Mais si les annonces sont prometteuses, la question de la mise en œuvre effective de ces accords reste entière. L’histoire des relations sino-africaines montre que nombre de projets annoncés tardent à se concrétiser, faute de coordination, de financement complémentaire ou de suivi rigoureux.
Autre enjeu central : les investissements directs étrangers (IDE). La Chine est déjà un acteur non négligeable, avec 665 milliards de FCFA d’IDE agréés ces dernières années, générant environ 10 000 emplois. Le gouvernement sénégalais souhaite doubler ces flux à l’horizon 2030. Cette ambition suppose non seulement de renforcer l’attractivité du Sénégal, mais aussi de développer un secteur privé local suffisamment robuste pour s’intégrer aux chaînes de valeur. C’est là l’un des défis majeurs : comment articuler les partenariats avec les grandes entreprises chinoises avec une réelle implication des PME sénégalaises ?
L’une des failles structurelles de la relation sino-sénégalaise réside dans le déséquilibre commercial. En 2023, les échanges bilatéraux ont atteint 4,34 milliards de dollars, avec une balance massivement déficitaire pour Dakar. Le pays importe principalement des équipements, des matériaux de construction et des produits manufacturés, tandis qu’il exporte des matières premières peu transformées comme l’arachide, le titane ou les produits halieutiques. Cette dépendance aux importations affaiblit la souveraineté économique et limite la création de valeur locale.
C’est pourquoi le Premier ministre a plaidé pour une diversification des exportations, couplée à une stratégie d’industrialisation ciblée. Le transfert de technologies et la mise en place de partenariats industriels doivent permettre au Sénégal de gravir les échelons de la chaîne de valeur, condition essentielle pour inverser le rapport de force économique. Cette dynamique repose aussi sur le développement des infrastructures numériques et énergétiques. À cet égard, le programme Smart Sénégal, appuyé par des groupes comme Huawei ou Alibaba, vise à moderniser l’administration, interconnecter les territoires et accompagner la transformation digitale du pays.
La coopération avec la Chine offre également des opportunités dans les énergies renouvelables, secteur que le gouvernement souhaite structurer pour atteindre une autonomie énergétique progressive, en lien avec les engagements climatiques. Mais là encore, l’accès aux financements, la maîtrise des technologies et l’implication des compétences locales seront déterminants pour faire de ces ambitions des réalités durables.
Enfin, au-delà des annonces et des intentions, cette visite soulève des interrogations de fond sur la gouvernance des accords signés. Comment s’assurer que les projets seront réalisés dans les délais ? Quelles garanties le Sénégal obtient-il en matière de transparence, de respect des normes sociales et environnementales, ou encore d’intégration du tissu économique local ? L’endettement public, bien que maîtrisé pour l’instant, doit également être surveillé, surtout dans un contexte où les financements chinois sont souvent opaques ou conditionnés à l’exécution par des entreprises d’État chinoises.

En conclusion, la visite d’Ousmane Sonko en Chine ouvre de nouvelles perspectives économiques pour le Sénégal. Elle traduit un repositionnement stratégique visant à tirer parti d’un partenariat globalement favorable, tout en cherchant à rééquilibrer les termes de l’échange. Mais les défis sont considérables : sans une stratégie claire de mise en œuvre, une gouvernance rigoureuse et une capacité à associer les acteurs locaux, les promesses risquent de rester lettre morte. Plus qu’un pari diplomatique, cette visite est un test grandeur nature de la capacité du Sénégal à défendre ses intérêts dans un environnement géoéconomique de plus en plus compétitif.