« Le rôle des banques de développement n’est pas d’imposer des orientations, mais de soutenir les pays dans l’atteinte de leurs objectifs » Papa Amadou SARR (Partie 1)

0
30

Dans l’imaginaire collectif, les banques de développement ont pour rôle de fournir des capitaux et des conseils aux pays émergents et en développement. Grâce à leur capacité financière et à leurs compétences, elles sont à même de mettre en oeuvre des projets et des réformes très complexes. Mais en période de crise économique, dans quelles conditions ces banques peuvent-elles jouer pleinement leur partition, sans exercer une influence sur la politique des Etats bénéficiaires ? ce qui leur vaut régulièrement des critiques. Dans cet interview, Papa Amadou SARR, Directeur Exécutif – Mobilisation, Partenariats et Communication du Groupe Agence Française de Développement (AFD) fait le point.

Qu’est-ce qui distingue, fondamentalement, une banque de développement des autres banques ?

L’architecture financière internationale est composée d’une multitude de banques. Ces dernières, qu’elles soient commerciales, ou agissant comme des banques d’affaires ou de conseil, publiques ou privées, ont d’abord pour rôle principal de financer les activités économiques. Ce qui caractérise par contre les banques de développement des autres types d’institutions financières est leur mandat de bailleur de fond ou de financier du développement dans les pays en développement ou dit émergents en plus de leur capacité de définir, élaborer et mettre en œuvre des politiques publiques. Elles peuvent notamment soutenir les efforts des gouvernements en faveur de l’inclusion financière, du financement des programmes d’infrastructures nécessaires à leur développement économique ainsi que les programmes sociaux tels que l’éducation et la santé sans oublier les questions climatiques et de biodiversité en fonction de leur mandat et de leur expertise. Parmi les banques publiques, nous avons celles qui sont locales, nationales, régionales et multilatérales. Aujourd’hui, le monde compte près de 530 banques publiques de développement (BPD) présentes dans le monde qui jouent un rôle essentiel dans l’économie mondiale et la mise en œuvre d’un agenda d’investissement solidaire.

L’AFD a été initiatrice en 2020 de la mise sur pied du sommet Finance en Commun (FiCS) qui réunit chaque automne l’ensemble des BPD dans le but renforcer leurs partenariats et leurs engagements en faveur d’actions communes pour le développement socio-économique durable. Cette initiative se compose de banques et institutions financières publiques, ainsi que de réseaux géographiques, des coalitions d’acteurs, des banques bilatérales ou multilatérales. Ces acteurs gèrent collectivement 23.000 milliards de dollars d’actifs totaux et représentent jusqu’à 2500 milliards de dollars d’investissements annuels, soit environ 10 % de l’investissement mondial total.

Le soutien au secteur privé s’affirme progressivement comme une priorité stratégique du financement du développement. Pensez-vous que cette option est efficace ?

Premier créateur d’emplois, de richesses et de croissance dans les pays en développement, le secteur privé contribue à l’offre de biens et services essentiels, notamment dans les infrastructures, la santé, l’éducation, l’énergie ou la transformation digitale etc. Il est maintenant établi que l’appui au secteur privé a un effet bénéfique et multiplicateur sur le développement socio-économique dans les pays en développement. C’est ce qui fait d’ailleurs que la réforme des institutions financières internationales en cours accorde une place de choix au secteur privé. Les institutions de Bretton Woods (Fonds Monétaire Internationale et Banque Mondiale) ont fait du secteur privé un levier essentiel pour maximiser les ressources publiques investies, pour ne pas dire, les fructifier.

Depuis sa création, l’AFD est convaincue que le développement ne peut s’appuyer uniquement sur le secteur public pour mener à bien ses missions. Le groupe AFD y contribue activement grâce à Proparco, sa filiale du secteur privé. Notre ambition est d’accompagner ce secteur stratégique en apportant des solutions de financement sur mesure à destination des PMEs et TPMEs. En outre, aujourd’hui, le groupe AFD, à travers ses différents projets, accompagne les entreprises dans l’accès au financement mais également les Etats dans le renforcement et la création des banques publiques pour soutenir les entrepreneurs à l’image de la BPI en France.

C’est précisément dans cette optique que l’équipe France, regroupant le Groupe AFD et Bpi-France, combine ses ressources, ses compétences et son expérience dans un programme dénommé « Choose Africa » pour apporter un soutien financier et technique aux PME africaines, tout en collaborant avec les États africains pour établir et/ou renforcer des institutions publiques de soutien à l’entrepreneuriat à l’image de la Délégation à l’entrepreneuriat des femmes et jeunes au Sénégal (DER) qui visent à promouvoir le secteur privé.   

On reproche aux banques de développement de ne pas toujours allouer les ressources les plus concessionnelles, et donc les plus précieuses, au financement des besoins les plus importants. Etes-vous de cet avis ?

Les banques de développement publiques allouent à leurs clients, pour la plupart du temps les états, des ressources concessionnelles avec des maturités longues afin de financer leur développement socio-économique. Car, les banques commerciales et privées qui se refinancent sur les marchés financiers n’ont pas la possibilité d’appliquer les mêmes taux et maturités. Toutefois, parmi ces banques de développement, certaines se sont spécialisées dans l’appui au secteur privé, et leur taux sont souvent plus onéreux que leurs consœurs qui s’occupe du secteur public.

En effet, les banques de développement qui travaillent avec le secteur privé national et local dans les pays en développement allouent leurs ressources en s’alignant sur la stratégie de développement du secteur privé définie par chaque État, en prenant en compte les besoins prioritaires qu’ils avancent. Chaque pays a une connaissance approfondie de ses besoins et de ses problématiques spécifiques. Le rôle des banques de développement n’est pas d’imposer des orientations, mais plutôt de soutenir les pays dans l’atteinte de leurs objectifs. De façon globale, nous pouvons dire que les banques de développement octroient à leurs clients publics comme privés des ressources plus concessionnelles que les banques classiques, pour ne pas dire commerciales.

Un consensus se dégage de plus en plus, pour une nouvelle architecture financière mondiale, mieux adaptée aux enjeux actuels. Quel rôle les Institutions Financières Publiques peuvent-elles y jouer ?

Elles ont un rôle central et contra cyclique à jouer. Les BPD sont désormais régulièrement appelées à participer à des rendez-vous importants pour mieux se coordonner et tracer des perspectives de collaboration futures, via de nouveaux financements ou projets sur le terrain. J’en veux pour preuve leur présence active aux différents sommets du G20, au sommet des BRICS, au sommet de l’Afrique et du climat ainsi qu’au sommet des Nations Unies sur les ODD (à New York), les réunions annuelles FMI-BM et à la COP 28 (à Dubaï).

Par ailleurs, l’objectif poursuivi dans le cadre du sommet FiCS est de faire travailler ces acteurs de façon systémique, plus efficace et plus pertinent. Pour ce faire, nous appelons (i) à ce que les décideurs assignent des mandats plus forts, pour aligner systématiquement leurs opérations sur les ODD à travers des politiques incitatives, des cadres réglementaires et des méthodologies communes ; (ii) à multiplier les collaborations entre les BPD grâce à des outils innovants, notamment via davantage d’assistance technique pour la finance durable et un laboratoire d’innovation financière et (iii) un accès facilité aux fonds multilatéraux, pour développer la finance durable et préparer un pipeline d’opportunités de cofinancements.

Avec Business Africa