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  • 07/07/2025

Afrique : pourquoi le système de paiement chinois CIPS attire de plus en plus de pays africains

Alors que le dollar et le réseau SWIFT dominent toujours les échanges internationaux, la Chine déploie sa propre infrastructure de paiements transfrontaliers. En Afrique, certains pays y voient une alternative stratégique.

En matière de transactions financières internationales, il existe un acteur central mais souvent méconnu : le système SWIFT. Fondé en 1973 et basé en Belgique, SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) permet aux banques de s’échanger des instructions de paiement de façon sécurisée. Il ne transfère pas directement de l’argent, mais transmet les messages qui déclenchent les virements internationaux. Aujourd’hui, plus de 11 000 institutions financières dans plus de 200 pays sont connectées à ce réseau.

Cependant, derrière sa neutralité apparente, SWIFT est fortement influencé par les puissances occidentales, notamment les États-Unis et l’Union européenne. En cas de sanctions, comme ce fut le cas pour l’Iran ou plus récemment pour certaines banques russes, des institutions peuvent être exclues du réseau, les privant de toute capacité de transfert d'argent international. Ce pouvoir géopolitique inquiète de nombreux pays, y compris en Afrique, où les économies restent très exposées aux circuits dominés par le dollar.

La Chine met en avant son propre système

Face à cette domination, la Chine a lancé en 2015 son propre système de paiement international, appelé CIPS – pour Cross-Border Interbank Payment System. Créé par la Banque populaire de Chine, CIPS permet d’effectuer des paiements transfrontaliers, mais principalement en yuan, la monnaie chinoise. L’objectif affiché est double : réduire la dépendance au dollar américain et internationaliser l’usage du yuan dans les échanges commerciaux.

En 2024, selon les données officielles, plus de 175 000 milliards de yuans (soit environ 24 000 milliards de dollars) ont transité par le réseau CIPS, un volume en hausse de 43% par rapport à 2023. Ce développement s’inscrit dans une stratégie plus large de la Chine pour consolider sa souveraineté financière, et proposer une alternative partielle à SWIFT, notamment à ses partenaires commerciaux.

Un intérêt croissant en Afrique

Ce repositionnement technologique et monétaire commence à porter ses fruits en Afrique. Sur le continent, six institutions financières ont déjà rejoint le réseau CIPS, selon des informations relayées par la presse économique chinoise et certains rapports d'institutions financières africaines. Les pays concernés comprennent notamment l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Éthiopie et la Côte d’Ivoire, quatre États dont les liens commerciaux avec Pékin ne cessent de se renforcer.

L’intérêt est logique. La Chine est aujourd’hui le premier partenaire commercial de l’Afrique, avec des échanges qui dépassent les 250 milliards de dollars par an. Pourtant, la majorité de ces transactions sont encore libellées en dollars américains, ce qui expose les économies africaines à des coûts de conversion élevés, des délais bancaires importants, et parfois des contraintes géopolitiques. L’usage du yuan via CIPS pourrait, selon les analystes, simplifier et sécuriser ces flux.

Quels bénéfices pour les économies africaines ?

L’introduction progressive de CIPS dans plusieurs pays africains offre plusieurs avantages concrets :

- Réduction des frais de transaction : en payant directement en yuan, les entreprises évitent la double conversion (du franc CFA ou du naira vers le dollar, puis vers le yuan), ce qui diminue les frais bancaires.

- Accélération des échanges : les délais de traitement sont souvent plus courts avec CIPS, surtout pour les importations de biens en provenance de Chine.

- Moins de vulnérabilité aux sanctions occidentales : certains États africains, comme le Zimbabwe ou la RDC, ont déjà été affectés par des restrictions via SWIFT. Avec CIPS, ils peuvent contourner ces blocages.

- Ouverture vers une plus grande autonomie financière : même si le yuan reste une monnaie étrangère, le fait d’utiliser un système parallèle permet de négocier des accords plus souples et d’élargir le champ des partenaires commerciaux.

Un équilibre encore à trouver

Mais cette transition ne va pas sans défis. Aujourd’hui, le yuan ne représente que 3% des paiements internationaux, très loin derrière le dollar (près de 40%) et l’euro. De plus, pour fonctionner efficacement avec CIPS, les pays africains doivent adapter leurs systèmes bancaires, former leurs équipes, et établir des accords bilatéraux solides avec la Chine.

Plusieurs analystes mettent également en garde contre un risque de nouvelle dépendance. Si l’Afrique s’éloigne du dollar pour s’aligner exclusivement sur le yuan, la nature du rapport de force change, mais la dépendance demeure. D'où l'importance de diversifier les partenaires et d’investir dans des infrastructures financières africaines solides, capables d’interagir avec plusieurs systèmes à la fois.

Une opportunité à saisir, avec vigilance

Dans le sillage des discussions autour d’un système de paiement alternatif au sein des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), l’Afrique peut jouer un rôle stratégique. Plusieurs pays du continent sont désormais courtisés pour devenir des partenaires de premier plan dans cette reconfiguration monétaire mondiale.

L’adoption progressive de CIPS en Afrique n’est donc pas un simple ajustement technique. Elle reflète une volonté politique de nombreux États de retrouver de la marge de manœuvre financière, tout en profitant du dynamisme des échanges avec la Chine. Encore faut-il que cette évolution se fasse dans la transparence, avec des garanties pour les économies locales.
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