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  • 19/11/2025

Eswatini confirme avoir reçu 5 millions de dollars des USA pour accueillir des “déportés” : Un deal controversé et opaque

À Mbabane, la petite capitale de l’Eswatini, un murmure grave traverse les couloirs du Parlement. Le 17 novembre, le ministre des Finances, Neal Rijkenberg, prend la parole — pas seulement sur les comptes publics, mais sur un accord international qui ne passe pas inaperçu : son pays a officiellement reçu 5,1 millions de dollars des États‑Unis dans le cadre d’un arrangement pour accueillir des “déportés” envoyés depuis les États-Unis.

 

Un deal secret, mais aux enjeux très publics

 

Le pacte entre Washington et Mbabane, en grande partie tenu dans l’ombre, allie argent et prisonniers. Selon un document vu par des ONG, l’Eswatini s’est engagé à accepter jusqu’à 160 personnes déportées en échange d’un soutien financier américain censé “renforcer sa capacité de gestion des frontières et des migrations”.

 

Depuis juillet, l’Eswatini a déjà accueilli deux groupes : d’abord cinq hommes, puis dix autres en octobre. Ces individus viennent de pays comme le Vietnam, Cuba, le Laos, le Yémen, et selon certaines sources, aussi des Philippines et du Cambodge.

 

Le gouvernement américain justifie la décision en évoquant des condamnations graves : “meurtre”, “viol d’enfant”… Selon le département de la Sécurité intérieure, certains de ces hommes sont “soigneusement sélectionnés” parmi des personnes que leurs pays d’origine auraient refusé de reprendre.

 

Une souveraineté mise à l’épreuve

 

L’annonce de Rijkenberg jette une lumière crue sur la manière dont l’accord aurait été signé : le ministre affirme n’avoir été informé qu’après coup. L’argent, précise-t-il, a bien été versé à l’agence nationale chargée des catastrophes (National Disaster Management Agency, NDMA). Mais — et c’est un mais de taille —, cet argent n’a pas encore été débloqué car il n’a pas encore été “approprié” dans le budget national.

 

Pour certains observateurs, ce deal soulève une question essentielle : à quel prix l’Eswatini met-il en jeu sa souveraineté ? Prêt à accepter des détenus étrangers en échange d’une manne financière, même partielle, le royaume montre qu’il peut jouer dans une diplomatie migratoire américaine… mais pas sans tension.

 

La contestation monte

 

Des acteurs de la société civile ne sont pas restés silencieux : des avocats et ONG ont saisi les tribunaux eswatiniens. Ils estiment que l’accord viole la Constitution, notamment à cause de son opacité. De leur côté, des défenseurs des droits dénoncent la détention prolongée de certains de ces hommes sans inculpation claire.

 

Selon Human Rights Watch, qui a vu le texte de l’accord, certains déportés seraient détenus dans des conditions “dures” à la prison de Matsapha, un centre de haute sécurité.

 

Un pari risqué, mais calculé

 

Pourquoi l’Eswatini a-t-il dit oui ? La réponse est probablement multiple. Financièrement, 5,1 millions de dollars représentent un levier non négligeable, surtout pour renforcer des capacités migratoires et sécuritaires. Politiquement, accepter un tel accord peut être vu comme un moyen de renforcer la crédibilité diplomatique — mais aussi comme un pari: celui de peser dans un dossier international où les gains sont clairs… mais les risques, bien réels.

 

Les critiques ne cessent de souligner un danger : transformer le royaume en “point de transit” pour des détenus tiers, sans garanties solides sur leur prise en charge à long terme ni sur le respect de leurs droits.


L’accord entre l’Eswatini et les États‑Unis illustre un tournant inquiétant dans la gouvernance migratoire mondiale : des États africains acceptent des déportés en échange d’aides financières. Si ce type de deal peut paraître pragmatique, il pose des questions fondamentales sur le plan éthique, juridique et politique. Pour Mbabane, le défi est double : tirer parti du soutien américain sans perdre ses valeurs, ni son image.