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  • 19/12/2025

Franc CFA : L’AES prépare la sortie, monnaie souveraine en ligne de mire

Dans le Sahel, les symboles de la tutelle postcoloniale tombent méthodiquement. Après les drapeaux abaissés sur les bases militaires, les accords sécuritaires dénoncés et les contrats miniers renégociés, c’est désormais le pilier monétaire qui entre dans la zone de turbulences. L’Alliance des États du Sahel (AES) – Mali, Burkina Faso et Niger – avance désormais à visage découvert vers la création d’une monnaie commune souveraine, pensée hors du cadre du franc CFA. La rupture est assumée. Le nom, lui, n’est pas encore fixé.

 

Ce silence n’est ni un flou ni une hésitation. Il est stratégique. À Bamako, Ouagadougou et Niamey, le débat monétaire a quitté le terrain des slogans pour entrer dans celui, plus austère, de la construction institutionnelle. La monnaie n’est plus perçue comme un simple instrument technique, mais comme un levier de souveraineté et de sécurité nationale. L’analyse rejoint celle développée par le journaliste Göktuğ Çalışkan, dans un article publié le 16 décembre 2025 sur TRT Afrika, consacré à la rupture monétaire engagée par l’AES.

 

La sortie du franc CFA ne relève plus d’une hypothèse théorique. Elle s’inscrit dans une trajectoire politique assumée, accélérée par l’épisode des sanctions régionales de janvier 2022. Le gel des avoirs maliens au sein de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a agi comme un révélateur brutal : tant que la monnaie est contrôlée ailleurs, la souveraineté politique demeure conditionnelle. Plusieurs responsables sahéliens l’ont reconnu publiquement ces derniers mois, faisant de l’autonomie monétaire une question de sécurité étatique.

 

L’AES ne parle donc plus de réforme du CFA, ni d’aménagement à la marge. Elle parle désormais de substitution. Une monnaie commune, hors UEMOA, hors Trésor français, hors parité fixe avec l’euro. L’objectif est de doter les économies sahéliennes d’un outil capable de financer l’agriculture, l’énergie, les infrastructures et la transformation locale, plutôt que de servir prioritairement la stabilité recherchée par les investisseurs extérieurs, comme le souligne également l’article de TRT Afrika.

 

Pour autant, aucun calendrier officiel n’a été rendu public. Les autorités avancent par étapes, conscientes que la souveraineté monétaire mal maîtrisée peut se retourner contre ses promoteurs. Le risque d’hyperinflation, la tentation de la création monétaire excessive et la perte de confiance des populations figurent parmi les lignes rouges identifiées. Plusieurs économistes africains cités dans les débats régionaux rappellent que la crédibilité d’une monnaie repose avant tout sur la discipline budgétaire et l’indépendance effective de la future banque centrale.

 

La principale différence avec le franc CFA réside dans la nature de la garantie. Là où le CFA repose sur une promesse politique extérieure, la future monnaie de l’AES ambitionne de s’adosser à des actifs tangibles : or, uranium, pétrole. Le sous-sol sahélien, longtemps exploité au bénéfice de partenaires étrangers, devient ainsi un argument central de crédibilité monétaire, un point largement développé dans l’analyse publiée par TRT Afrika.

 

Le projet se distingue également du chantier inachevé de l’Eco, la monnaie de la CEDEAO, perçue dans le Sahel comme une continuité déguisée du CFA. Parité rigide, dépendance conceptuelle aux doctrines monétaires occidentales, calendrier sans cesse repoussé : l’AES revendique une autre voie. Plus flexible, plus risquée aussi, mais assumée. Dans cette approche, la stabilité des prix n’est pas une fin en soi, mais un paramètre à arbitrer avec l’emploi et l’investissement productif.

 

Derrière les débats techniques, une nouvelle géographie économique se dessine. Un espace de plus de 70 millions d’habitants pourrait émerger, unifié par une trajectoire politique commune et, à terme, par une même monnaie. La promesse est celle d’une réduction des coûts de transaction, d’une moindre dépendance au dollar et d’une meilleure circulation de la valeur à l’intérieur de l’espace sahélien.

 

L’épreuve du réel reste à venir. Les marchés observeront avec prudence. Les partenaires testeront les nouvelles règles du jeu. Les populations, elles, jugeront sur l’impact concret sur le pouvoir d’achat et l’accès au crédit. La monnaie commune de l’AES n’a pas encore de nom, mais sa fonction est déjà clairement définie : reprendre le contrôle du temps long économique.

 

Dans le Sahel, on ne baptise pas une monnaie avant de l’avoir solidement forgée. Et cette fois, la forge est politique, technique et historique.

 

Source

Analyse inspirée et contextualisée à partir de l’article « Adieu franc CFA : la naissance d’une monnaie de combat »,
Göktuğ Çalışkan, TRT Afrika, 16 décembre 2025.