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  • 20/11/2025

Madagascar : Derrière la pierre de 300 kg, l’autre trésor recherché — la crédibilité économique du nouveau pouvoir

Il y a des symboles qui racontent mieux qu’un discours la fragilité d’un moment politique. À Madagascar, c’est un bloc de 300 kg — lourd comme un secret d’État, scintillant comme une promesse de richesse — que le nouveau président par intérim, le colonel Michael Randrianirina, a choisi de placer sous les projecteurs. Une « émeraude en matrice », affirme-t-il, découverte à leur arrivée « dans le palais présidentiel ». Aucune date, aucun contexte, aucune explication. Juste une apparition minérale, posée là comme un défi lancé à l’histoire récente du pays.

 

Un coup d’éclat en pleine transition politique

 

Depuis la prise de pouvoir du mois dernier, le régime militaire cherche à installer une image de rigueur, de rupture et de contrôle. Dévoiler publiquement un « trésor national » trouvé dans les coulisses de la présidence sonne presque comme un acte de purification : montrer ce que l’ancien pouvoir aurait laissé derrière lui, mettre en scène une transparence nouvelle, rappeler que la richesse du pays appartient à l’État, et donc au peuple.

 

Le colonel Randrianirina l’a martelé : la pierre est un « bien national » et toute opération future — notamment une vente éventuelle — devra suivre une procédure formelle. Le ministre des Mines, Carl Andriamparany, parle même d’un « rêve de collectionneur », insistant sur la rareté d’une émeraude conservée dans sa matrice naturelle.

 

Une pierre spectaculaire, une origine embarrassante

 

Le bloc présenté est décrit comme sombre, massif, parcouru de veines vertes brillantes. Pour les non-initiés, cela ressemble déjà à un mirage de richesse. Pour les géologues, c’est une promesse à confirmer.

 

Car la seule certitude aujourd’hui, c’est que rien n’a encore été authentifié.
Aucun expert indépendant n’a, à ce stade, confirmé :

  • la qualité des cristaux,
  • la quantité d’émeraude présente,
  • ni la valeur économique réelle du bloc.

 

Reste la question qui embarrasse : comment une pierre de plusieurs centaines de kilos, provenant d’un secteur minier sensible et souvent opaque, a-t-elle pu se retrouver dans un palais national… sans que personne ne le sache ? Le colonel lui-même admet ne pas connaître son origine, son parcours, ni sa date d’arrivée. Une opacité qui heurte la narration officielle d’une « totale transparence ».

 

Le secteur minier malgache : un colosse mal contrôlé

 

Cette découverte spectaculaire remet en lumière un secteur minier essentiel, mais miné par les fragilités institutionnelles :

 

  • Contrebande récurrente des gemmes vers l’Asie et le Golfe.
  • Faible traçabilité entre extraction, acheminement et exportation.
  • Perte de valeur ajoutée locale, les pierres étant le plus souvent exportées brutes.
  • Capacités étatiques limitées dans les contrôles et la fiscalité minière.

 

Dans ce contexte, voir apparaître une pierre de 300 kg au cœur du pouvoir n’est pas seulement étonnant. C’est révélateur.

 

Cela souligne la persistance d’un problème structurel : l’État ne maîtrise pas totalement les flux, les stocks, ni même les inventaires de pierres précieuses circulant sur le territoire. Cette pierre devient alors un symbole d’un État dont les richesses échappent en partie à la gouvernance publique.

 

Une vente potentielle… mais quels bénéfices pour l’État ?

 

Le gouvernement affirme que si la pierre est vendue, les fonds seront affectés au Trésor public. C’est une position classique, mais les modalités concrètes restent inconnues :

 

  • Quelle procédure d’appel d’offres ?
  • Quelle évaluation indépendante ?
  • Quel mécanisme de traçabilité ?
  • Quel contrôle parlementaire ou public ?

 

Dans un pays où les finances publiques restent sous tension et où la confiance dans l’État est fragile, chaque étape sera observée à la loupe.

 

Une vente réussie et transparente pourrait aider le régime à afficher sa rigueur, voire financer des priorités urgentes. À l’inverse, la moindre zone d’ombre pourrait se transformer en crise de confiance.

 

L’économie politique derrière la pierre

 

Au-delà de la valeur géologique, cette « émeraude en matrice » est surtout un outil de communication politique. Dans les transitions militaires africaines, il est fréquent de voir les nouveaux dirigeants mettre en scène la lutte contre les dérives passées, la récupération des biens de l’État, ou la révélation de symboles de richesse détournés. Madagascar, avec cette annonce, ne fait pas exception.

 

La question essentielle devient alors :
la pierre de 300 kg est-elle une opportunité économique… ou un test de gouvernance ?

 

Ce que cette affaire révèle du moment malgache

 

Pour BankAssur Afrik+, cette séquence raconte trois choses :

1.   Le pouvoir cherche à affirmer son autorité par la transparence et la rupture symbolique.
Montrer une pierre cachée dans le palais, c’est montrer qu’on « découvre » et qu’on « nettoie ».

2.   Le secteur minier reste une priorité stratégique mais mal encadrée.
Cette affaire souligne l’urgence de renforcer les capacités d’audit, de certification et de régulation.

3.   L’État doit produire de la preuve.
Preuve de transparence, preuve d’intégrité, preuve de compétence.
Le moindre faux pas dans la gestion de cette pierre pourrait entamer la crédibilité du nouveau pouvoir.

 

Un bloc de 300 kg qui pèse bien plus lourd politiquement qu’économiquement

 

En attendant les analyses d’expertise, la valeur réelle de la pierre reste un mystère. Mais sa valeur politique, elle, est déjà immense. Elle cristallise les promesses, les contradictions et les défis du nouveau régime malgache.
Elle renvoie à un enjeu central : faire des ressources naturelles malgaches une richesse collective, et non un théâtre d’opacité permanente.

 

Madagascar a désormais un symbole.
Reste à savoir si ce sera celui d’un renouveau… ou d’une occasion manquée.