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  • 23/12/2025

Ouganda : Quand la croissance avance plus vite que la discipline budgétaire

À première vue, l’économie ougandaise donne des signes rassurants. L’inflation ralentit, l’activité tient bon, les entreprises restent confiantes. Mais derrière cette façade relativement stable, les équilibres macroéconomiques racontent une histoire plus nuancée, marquée par une monnaie sous pression et des finances publiques qui tirent dangereusement sur la corde.

 

Le dernier Performance of the Economy Report publié par le ministère des Finances pour novembre 2025 dresse le portrait d’un pays qui avance, mais à pas mesurés, surveillant ses fragilités tout en tentant de préserver l’élan de la reprise.

 

Inflation : le reflux attendu, mais fragile

 

Bonne nouvelle pour les ménages et les décideurs : l’inflation poursuit sa décrue. En novembre 2025, l’inflation globale est retombée à 3,1%, contre 3,4% le mois précédent. Une dynamique principalement portée par le repli des prix des denrées alimentaires, dopé par une amélioration de l’offre agricole. Les fruits, légumes et produits de base ont vu leurs prix se détendre, offrant un répit bienvenu au pouvoir d’achat.

 

L’inflation sous-jacente, indicateur plus structurel, suit la même trajectoire. Elle s’établit à 3,2%, confirmant que les tensions inflationnistes restent contenues. Seul bémol : l’énergie, les carburants et les services publics, dont les prix repartent légèrement à la hausse, rappelant la dépendance persistante du pays aux chocs externes.

 

Pour la Banque centrale, le message est clair : pas de surchauffe, mais pas de relâchement non plus.

 

Activité économique : le moteur tourne

 

Du côté de l’activité, les signaux sont globalement au vert. Les indicateurs à haute fréquence confirment une économie en mouvement. L’indice des directeurs d’achat (PMI) reste solidement au-dessus du seuil de 50, à 53,8 points, traduisant une expansion continue du secteur privé. Les entreprises signalent une hausse des commandes et de la production, notamment dans l’industrie, le commerce et les services.

 

Même tonalité du côté de l’indice composite de l’activité économique, qui progresse pour le troisième mois consécutif. La dynamique est réelle, portée par la consommation privée et un regain d’investissement, même si les coûts des intrants — énergie et transport en tête — continuent de peser sur les marges.

 

Les chefs d’entreprise, eux, restent majoritairement optimistes. L’indice de confiance des affaires demeure confortablement au-dessus de la barre des 50 points, malgré un léger tassement. L’agriculture et la construction inquiètent davantage, mais le socle manufacturier et commercial tient.

 

Monnaie et crédit : le revers de la médaille

 

Là où le tableau s’assombrit, c’est sur le front monétaire. En novembre, le shilling ougandais s’est déprécié de plus de 3 % face au dollar américain. En cause : une forte demande de devises de la part des entreprises, qui dépasse l’offre disponible. Une pression classique dans une économie ouverte, mais qui renchérit les importations et complique la gestion des coûts pour les acteurs privés.

 

La Banque centrale, prudente, a choisi de maintenir son taux directeur à 9,75%. Une décision cohérente au regard d’une inflation maîtrisée, mais qui n’empêche pas une hausse des taux de crédit. Les prêts en monnaie locale affichent désormais des taux proches de 20%, reflet d’une aversion accrue au risque de la part des banques.

 

Résultat : le crédit au secteur privé progresse, mais au ralenti. La croissance est marginale, tirée surtout par les prêts en shilling, tandis que le crédit en devises recule. Les ménages et les entreprises continuent d’emprunter, mais avec plus de prudence.

 

Commerce extérieur : l’effet exportations

 

Sur le plan externe, l’Ouganda peut se targuer d’une performance notable. Le déficit commercial s’est nettement réduit sur un an, porté par une explosion des exportations. Café, or, produits industriels et agricoles ont dopé les recettes, au point de presque doubler la valeur des exportations en un an.

 

Le café reste un pilier, mais la forte contribution de l’or souligne une dépendance persistante à des produits peu transformés. Le Moyen-Orient s’impose comme le principal débouché, tandis que les échanges au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est se détériorent. Le déficit commercial avec les pays voisins s’élargit, notamment vis-à-vis du Kenya et de la Tanzanie, où les importations progressent plus vite que les exportations.

 

Autrement dit : l’Ouganda vend plus au reste du monde, mais perd du terrain dans son propre espace régional.

 

Finances publiques : le point de tension majeur

 

C’est sans doute sur le terrain budgétaire que les signaux sont les plus préoccupants. En novembre 2025, le déficit public a largement dépassé les prévisions. Les recettes fiscales sont en deçà des objectifs, tandis que les dépenses — notamment les transferts et les charges liées aux infrastructures et aux programmes publics — explosent.

 

L’État a dû intensifier ses émissions de titres sur le marché domestique, alourdissant le coût du financement et contribuant à la hausse des rendements obligataires. Une stratégie soutenable à court terme, mais qui pose la question de la trajectoire de la dette et de la discipline budgétaire à moyen terme.

 

Une équation délicate à résoudre

 

Au final, l’économie ougandaise affiche une résilience certaine. Inflation sous contrôle, activité solide, exportations dynamiques : les fondamentaux tiennent. Mais cette stabilité repose sur un équilibre délicat. Une monnaie fragile, un crédit coûteux et des finances publiques sous pression rappellent que la marge de manœuvre reste étroite.

 

Pour Kampala, le défi est désormais clair : transformer l’élan conjoncturel en croissance durable, sans laisser filer les comptes publics. Un exercice d’équilibriste, dans une région où la compétition économique s’intensifie et où la moindre erreur de pilotage se paie cash.