News
  • 05/05/2025

Société : À Abidjan, les microentrepreneurs de l’eau pallient les failles du service public


Dans les quartiers précaires d’Abidjan, l’imagination entrepreneuriale remplace bien souvent les infrastructures publiques défaillantes. Alors que l’accès à l’eau potable reste un défi quotidien pour des milliers d’habitants, un réseau informel mais organisé de petits opérateurs privés a émergé pour combler ce vide. Une étude récente de l’Institut économique de Montréal (IEDM), réalisée en collaboration avec des chercheurs africains, met en lumière ce phénomène et ses implications économiques, sociales et politiques.

Des acteurs invisibles mais essentiels

Loin des canalisations officielles et des réseaux urbains structurés, ces microentrepreneurs — souvent membres des communautés qu’ils desservent — assurent la livraison d’eau potable à domicile. Présents dans des zones où la SODECI, le distributeur national, peine à fournir un service régulier, ils incarnent une réponse locale à une défaillance structurelle.

Leur rôle, pourtant vital, reste largement ignoré des politiques publiques. Ces opérateurs évoluent sans cadre légal, sans reconnaissance ni accompagnement technique. Pourtant, selon l’enquête menée par l’IEDM, ils constituent non seulement une source d’approvisionnement cruciale pour les populations, mais aussi une véritable alternative économique. Plus de la moitié d’entre eux affirment avoir quitté un emploi antérieur moins rentable pour se lancer dans cette activité.

Une volonté de professionnalisation

Loin de se satisfaire d’un statu quo précaire, ces livreurs d’eau aspirent à une reconnaissance institutionnelle. Pas moins de 88% d’entre eux souhaitent la formalisation de leur métier. Cela permettrait de sécuriser leur activité, de protéger leurs équipements souvent rudimentaires, et surtout, d’accéder à des financements ou à des formations techniques.

Cette dynamique traduit une volonté de passer d’une activité de survie à une profession à part entière. Elle s’inscrit aussi dans une logique plus large de structuration de l’économie informelle en Afrique, qui représente parfois jusqu’à 80% de l’emploi urbain dans certaines régions du continent.

Des pistes concrètes pour les intégrer

Conscients du potentiel de ces acteurs de terrain, les auteurs de l’étude ne se contentent pas d’un simple diagnostic. Ils formulent trois propositions pour faire évoluer le secteur.

La première consiste à permettre à ces microentrepreneurs d’agir comme sous-traitants du distributeur public, afin d’élargir la couverture dans les zones mal desservies. La seconde vise à établir un partenariat avec les autorités ivoiriennes pour qu’ils puissent intervenir rapidement en cas de pénurie ou de défaillance temporaire du réseau. Enfin, la mise en place d’un projet pilote à Abidjan permettrait de les recenser, les encadrer et de les accompagner vers une activité durable et réglementée.

L’économie informelle, moteur de résilience

Ce cas d’étude illustre un constat plus global : dans de nombreux pays en développement, les microentreprises informelles compensent les carences des politiques publiques. En s’adaptant aux réalités locales, elles inventent des solutions pratiques à des problèmes structurels, là où les grands plans gouvernementaux tardent à produire des effets.

La reconnaissance de ces initiatives ne doit donc pas être perçue comme un renoncement de l’État, mais comme une opportunité de collaboration. Le défi n’est pas de les remplacer, mais de les intégrer intelligemment dans les stratégies de développement du secteur de l’eau.

Une alternative crédible à accompagner

Soutenu par la Templeton World Charity Foundation, ce travail de recherche invite à reconsidérer le rôle des petits opérateurs dans les services essentiels. Si la volonté politique suit, cette approche hybride — mêlant initiative privée, régulation publique et soutien institutionnel — pourrait bien être la clé d’un accès élargi et durable à l’eau potable dans les quartiers les plus vulnérables d’Abidjan.

Partager sur