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  • 21/07/2025

Trump, migrants et Afrique : Quand la diplomatie devient chantage économique

Une vieille recette remise au goût du jour

 

Le 4 juillet 2025, huit migrants condamnés pour des crimes violents sont expulsés des États-Unis. Direction : Juba, la capitale du Soudan du Sud. Rien ne les rattache à ce pays, pourtant, c’est là qu’ils atterrissent. Parmi eux, des ressortissants de Cuba, du Laos, du Mexique, du Myanmar, du Vietnam et du Soudan du Sud.

 

Une semaine plus tard, rebelote : cinq autres hommes, cette fois venus du Vietnam, de Cuba, du Yémen, de la Jamaïque et du Laos, sont envoyés en Eswatini. Ces transferts ne sont pas anodins. Ils marquent le retour d’une politique américaine relancée après le feu vert de la Cour suprême en juin 2025 : expulser des migrants vers des pays tiers, sans se soucier du refus de leur pays d’origine.

 

Quand l’économie fait pression sur la diplomatie

 

Pour obtenir la coopération d’États comme l’Eswatini, Washington ne passe pas par quatre chemins. D’après des sources diplomatiques, l’administration Trump aurait agité la menace de taxes douanières de 10% sur les exportations du petit royaume africain.

 

L’Eswatini, très dépendant du commerce avec les États-Unis, aurait fini par céder. En échange ? Des aides financières, du moins en théorie. Pour l’instant, ni les montants, ni les modalités n’ont été révélés. Dans une tribune publiée le 10 juillet sur African Arguments, Ken Opalo, professeur à Georgetown, résume ces accords en un mot : « transactionnels ». En clair, du donnant-donnant, sans vraie vision.

 

Des migrants pris dans la tourmente

 

Et une fois arrivés ? Pas de tapis rouge. Les expulsés sont aussitôt mis en détention. En Eswatini, certains se retrouvent enfermés dans le centre correctionnel de Matsapha, où l’isolement prolongé est la norme.

 

Au Soudan du Sud, la situation est encore plus inquiétante. Le pays reste en proie à une instabilité chronique : entre janvier et avril 2025, l’ONU a recensé 900 morts. Face à ces réalités, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Volker Türk, a tiré la sonnette d’alarme le 12 juillet. Pour lui, envoyer des migrants dans ces zones revient à les exposer à des traitements inhumains.

 

Des États africains qui ne se laissent pas faire

 

Mais tout le continent ne dit pas oui. Le Nigeria, par exemple, a refusé d’accueillir des migrants venus du Venezuela, dénonçant des « accords déséquilibrés ». Le Sénégal, quant à lui, garde le silence, bien qu’il ait été approché.

 

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), elle, a tenu à clarifier les choses. Dans un communiqué du 15 juillet 2025, elle affirme ne pas avoir été impliquée dans les transferts vers l’Eswatini, contrairement à ce qu’avaient affirmé certaines autorités locales.

 

Quand la politique migratoire bouscule les relations internationales

 

Au-delà du dossier migratoire, cette stratégie pourrait bien laisser des traces dans les relations entre Washington et plusieurs capitales africaines. L’idée de forcer des pays à accueillir des migrants refoulés dérange. Et pour cause : cela ouvre la voie à une forme de diplomatie brutale.

 

Pour Ken Opalo, c’est clair : transformer des pays pauvres en « décharges géopolitiques » n’est pas une politique durable. Les coûts – logistique, sécurité, impact social – risquent fort de dépasser les compensations promises.

 

Aux États-Unis, tout le monde n’applaudit pas

 

Cette ligne dure n’est pas sans contestation. En mai 2025, un tribunal fédéral de Boston a suspendu certaines expulsions vers le Soudan du Sud. Le juge a pointé du doigt plusieurs manquements, notamment le fait que les migrants n’avaient pas été informés à l’avance.

 

Ces blocages judiciaires ralentissent la machine, sans pour autant l’arrêter. Pendant ce temps, la Maison-Blanche communique à tout-va, dévoilant sur les réseaux sociaux les identités et les antécédents des expulsés, comme pour légitimer la démarche.

 

Et demain, le Rwanda ?

 

D’autres pays pourraient être concernés. Des discussions seraient en cours avec le Rwanda pour des accords similaires. Mais plus la stratégie américaine se déploie, plus elle cristallise les critiques, que ce soit en Afrique ou au sein des instances onusiennes.

 

Et pendant que les États-Unis s’enlisent dans cette logique musclée, la Chine, la Russie ou encore la Turquie continuent de tisser leur toile sur le continent. En clair, cette politique migratoire pourrait coûter cher à Washington, non seulement sur le plan humain, mais aussi en termes d’influence.

 

Le vrai risque : perdre la main en Afrique

 

Ce regain d’expulsions vers l’Afrique marque un tournant : les États-Unis misent désormais sur la force plus que sur la coopération. Si l’objectif est de marquer des points sur le plan électoral, la facture diplomatique, elle, pourrait être salée. Une question s’impose : jusqu’où cette stratégie peut-elle aller sans entamer durablement la légitimité américaine sur la scène internationale ?

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