Un rapport publié le mardi 4 mars 2025 par Feyi Ogunade, coordonnateur de l’Observatoire de la criminalité organisée en Afrique de l’Ouest (ENACT), un programme de l’Institute for Security Studies (ISS), met en lumière l’ampleur du trafic d’armes dans le complexe W-Arly-Pendjari (WAP). Ce sanctuaire faunique, partagé entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, est devenu un point névralgique du crime organisé, avec des conséquences dévastatrices sur les économies locales et régionales.
Le complexe WAP, autrefois un modèle de biodiversité, est désormais au cœur d’un réseau complexe de trafic d’armes, de drogue, de carburant, et même de traite d’êtres humains. Selon Feyi Ogunade, « Le trafic d’armes dans le complexe WAP ne se limite pas aux groupes terroristes. Il alimente un vaste réseau criminel, impliquant également la contrebande de drogue, de carburant et la traite d’êtres humains, créant ainsi une spirale de violence et d’instabilité qui affecte toute la région ».
ENACT et ISS : Des acteurs clés dans la lutte contre la criminalité transnationale
L’ENACT, une organisation dédiée à la lutte contre les réseaux criminels transnationaux en Afrique, joue un rôle crucial dans la collecte de données et l’analyse des menaces sécuritaires dans la région. ISS (Institute for Security Studies), un think tank international reconnu, est un acteur majeur dans la recherche sur la sécurité en Afrique. Il travaille en collaboration avec les gouvernements, les organisations internationales et les acteurs locaux pour élaborer des politiques sécuritaires efficaces.
Ces organisations ont permis de démontrer l’ampleur et les conséquences du trafic d’armes dans cette zone de conflit, soulignant non seulement les risques terroristes, mais aussi les effets économiques délétères sur les populations locales.
Un coup dur pour le tourisme et l’économie locale
Le complexe WAP, jadis prisé pour son écosystème exceptionnel et ses lodges touristiques, subit de plein fouet l’instabilité sécuritaire croissante. La présence de groupes armés dans la région a contraint la fermeture de plusieurs sites touristiques, privant ainsi les populations locales d’une source de revenus essentielle. Les recettes du tourisme ont chuté de plus de 70 % en cinq ans dans certaines zones du WAP, selon le rapport d’ISS. Cette perte représente une part importante de l’économie locale, qui dépendait de l’attraction de visiteurs étrangers et locaux.
L’impact ne se limite pas aux secteurs touristiques : l’agriculture et l’élevage, piliers de l’économie de la région, sont également durement touchés. Les cultivateurs et éleveurs, victimes de pillages et d’attaques régulières, désertent leurs terres fertiles. Cet exode forcé accentue l’insécurité alimentaire et entraîne l’effondrement du commerce local, avec des effets dévastateurs sur la subsistance des populations rurales.
Une économie criminelle en pleine expansion
Le rapport de l’ISS met en évidence le rôle stratégique du Bénin dans cette économie parallèle. Le pays sert de plaque tournante pour l’acheminement d’armes en provenance du Niger, où les stocks militaires sont mal sécurisés, ainsi que de Libye, un pays en proie au chaos depuis 2011. Le Bénin est un point de transit crucial pour les armes légères et lourdes, facilitant leur distribution à travers la région.
« Nous observons une intensification du trafic d’armes légères et lourdes dans la région, facilitée par des routes clandestines bien établies », indique Feyi Ogunade dans son rapport. Cette prolifération d’armes alimente un cercle vicieux : plus les groupes armés s’équipent, plus l’insécurité s’intensifie, dissuadant ainsi les investisseurs et les bailleurs de fonds de s’implanter dans la région. Le climat d’instabilité rend toute tentative de développement économique quasi impossible.
Réponses sécuritaires : Des initiatives insuffisantes face à l’ampleur du phénomène
Face à cette situation alarmante, plusieurs initiatives sécuritaires ont été mises en place, mais leurs résultats demeurent insuffisants. La Force multinationale mixte (FMM), réactivée en 2014, peine à sécuriser la zone en raison de ressources limitées et d’une coordination défaillante entre les pays membres. La Force du G5 Sahel, qui a été dissoute après le retrait du Mali en 2022, du Niger et du Burkina Faso en 2023, a laissé un vide sécuritaire considérable, facilitant ainsi l’expansion du trafic d’armes et des groupes terroristes.
L’Initiative d’Accra, bien que prometteuse sur le papier, reste largement concentrée sur la lutte contre le terrorisme, reléguant le trafic d’armes au second plan. « L’absence de coordination et le manque de moyens freinent l’efficacité des opérations militaires », constate le rapport d’ISS.
Une réponse intégrée : Sécurité, développement et lutte contre la pauvreté
Selon Feyi Ogunade, une lutte efficace contre le trafic d’armes dans la région nécessite une approche multifacette, combinant sécurité, développement économique et lutte contre la pauvreté. Le projet « Résilience au Sahel », qui vise à améliorer la sécurité alimentaire et à créer des emplois pour les jeunes, peine toutefois à produire des résultats concrets. « Tant que les populations locales n’auront pas d’alternatives économiques viables, les groupes criminels continueront de recruter sans difficulté », alerte Ogunade.
Des investissements dans l’éducation, l’agriculture durable et les infrastructures sont impératifs pour inverser la tendance. Il est essentiel d’offrir des alternatives économiques aux jeunes et de favoriser le développement des zones rurales pour rompre le cycle de pauvreté qui alimente les réseaux criminels.
L’urgence d’une action concertée pour préserver la stabilité régionale
L’avenir du complexe W-Arly-Pendjari et de la région sahélienne repose sur une action collective et immédiate. Les gouvernements, les organisations internationales et les acteurs locaux doivent intensifier leurs efforts pour sécuriser la zone et mettre en œuvre des solutions économiques durables. La sécurité ne peut être renforcée sans un développement équitable et une réduction significative de la pauvreté. Sans une approche globale, la situation ne pourra que se détériorer, avec des conséquences dramatiques pour les populations locales et la stabilité de toute la région.