Le tribunal de commerce de Bamako a tranché. Lundi, la mine d’or de Loulo-Gounkoto, joyau économique du Mali, a été placée sous administration provisoire pour six mois. Le géant canadien Barrick Gold, qui exploite ce site parmi les plus riches d’Afrique, perd le contrôle opérationnel. Ce verdict marque un tournant dans un conflit qui oppose Bamako à Barrick depuis deux ans. En jeu : des centaines de millions de dollars, la souveraineté économique malienne et l’avenir d’un secteur minier sous haute tension.
Une mine à l’arrêt, un pays en attente
Loulo-Gounkoto, située dans l’ouest du Mali, produit 547 000 onces d’or par an. Elle représente 5 à 10% du PIB malien et un quart du budget national. Mais depuis janvier 2025, la mine est à l’arrêt. La cause ? Une saisie spectaculaire de 3 tonnes d’or, d’une valeur de 317 millions USD, ordonnée par les autorités. « Nous voulons récupérer notre dû », justifiait alors un responsable du ministère des Mines, cité par des posts sur X le 16 décembre 2024.
L’administrateur provisoire, nommé par la justice, a une mission claire : rouvrir le site « dans les plus brefs délais ». Mais la tâche s’annonce ardue. Barrick, qui emploie 8 000 personnes sur place, dépense 15 millions USD par mois pour maintenir les salaires, sans pouvoir exporter d’or. L’arrêt coûte au Mali 550 millions USD par an en recettes fiscales, selon les estimations.
Un conflit fiscal et politique
Le différend s’enracine dans le nouveau code minier malien, adopté en août 2023. Ce texte, porté par la junte au pouvoir depuis 2020, vise à maximiser les revenus de l’or, principale richesse du pays. Bamako exige de Barrick des arriérés fiscaux estimés entre 500 et 1 milliard USD. Le gouvernement accuse la société de pratiques opaques, comme l’utilisation de comptes offshore.
Barrick conteste ces accusations. En septembre 2024, le groupe a versé 85 millions USD dans le cadre d’un accord de principe, mais Bamako juge ce montant insuffisant. « Nous cherchons une solution constructive », a déclaré Mark Bristow, PDG de Barrick, le 26 janvier 2025, tout en dénonçant « des violations des droits humains » liées à la détention de quatre cadres maliens depuis novembre 2024.
Une bataille judiciaire et internationale
Le placement sous tutelle judiciaire est un coup dur pour Barrick. La société, qui détient 80% de la mine (l’État malien possédant 20%), a qualifié la décision de « sans fondement juridique » dans un communiqué du 26 mai 2025. En parallèle, Barrick a saisi le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) pour arbitrage. Ce recours pourrait prendre des années, mais il vise à protéger les intérêts de la société face à ce que Bristow appelle des « actions unilatérales ».
Le Mali, lui, durcit le ton. En avril 2025, les autorités ont fermé le bureau de Barrick à Bamako. Des rumeurs, relayées sur X, évoquent un intérêt de la Russie pour la mine, dans un contexte où Bamako se rapproche de Moscou. « Le Mali veut montrer qu’il est maître chez lui », analyse un économiste malien anonyme.
Les racines d’un bras de fer
Ce conflit s’inscrit dans une vague de souverainisme économique au Sahel. Depuis le coup d’État de 2020, la junte dirigée par Assimi Goïta renégocie les contrats miniers pour réduire l’influence des multinationales.
Loulo-Gounkoto, qui a généré 7,7 milliards USD pour le Mali en 25 ans, est un symbole. Mais les autorités estiment que les bénéfices sont mal répartis dans un pays où 42% de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Barrick, de son côté, met en avant ses contributions. « Nous avons investi massivement au Mali », insiste Bristow. Pourtant, les négociations, entamées en 2023, ont échoué à plusieurs reprises. Un accord en février 2025, prévoyant un paiement de 470 millions USD, n’a jamais été signé.
Quels risques pour l’avenir ?
La tutelle judiciaire pourrait être une étape vers la nationalisation. Mais le Mali manque d’expertise pour gérer seul une mine aussi complexe. Une nationalisation risquerait aussi d’effrayer les investisseurs étrangers, déjà échaudés par les tensions au Burkina Faso et au Niger. « Le Mali joue gros », prévient un analyste minier sur X.
Pour Barrick, la perte de Loulo-Gounkoto amputera ses bénéfices de 11% en 2025. La société exclut la mine de ses prévisions jusqu’en 2028. Une solution amiable semble encore possible, mais le temps presse. « Nous restons ouverts au dialogue », assure Barrick, tandis que Bamako campe sur ses positions.
Un précédent pour l’Afrique
Le bras de fer Mali-Barrick dépasse les frontières. Il illustre les tensions croissantes entre États africains et multinationales minières. Les pays producteurs d’or, inspirés par le Mali, pourraient durcir leurs politiques. Mais à quel prix ? Pour Loulo-Gounkoto, l’avenir reste incertain, suspendu entre justice, géopolitique et impératifs économiques.