
Dans un complexe hôtelier niché entre les rues animées d’Angré, à Abidjan, l’ambiance n’avait rien d’un séminaire ordinaire. Ce mardi 24 juin, dix organisations de la société civile ivoirienne ont répondu à l’appel de Polaris Asso CI, épaulé par l’organisation française Captain Fact, pour une journée de formation sur la désinformation. À quelques mois d’un scrutin présidentiel sous haute tension, cette initiative sonne comme un signal d’alarme : face à l’inaction ou l’impuissance des institutions face aux infox, la société civile tente de reprendre la main.
Le nouveau champ de bataille est numérique
Les élections de 2010 et 2020 ont laissé dans les mémoires ivoiriennes un goût amer. Des violences, alimentées en partie par la rumeur, la manipulation et la circulation non contrôlée d’informations sur les réseaux sociaux. En 2025, le pays s’apprête à revivre une campagne, mais cette fois dans une ère où la vitesse de propagation des fausses nouvelles est exponentielle.
« Nous avons observé que la désinformation a joué un rôle structurant dans les violences électorales passées. Il fallait outiller les acteurs de terrain pour qu’ils puissent désormais réagir à temps », explique Sidibé Salifou, directeur pays de Polaris Asso CI.
L’atelier n’a pas pour ambition de former des journalistes. Il cible des leaders communautaires, éducateurs, militants associatifs, capables d’identifier et de contenir les fausses informations avant qu’elles ne s’enracinent dans les esprits.




Former les esprits critiques, pas seulement dénoncer
Contrairement à certaines campagnes de sensibilisation verticales, l’approche choisie ici est collaborative. Grâce à des outils ludiques et pédagogiques comme la fresque de la désinformation ou le jeu Argumentum, les participants expérimentent la désinformation en simulation, en comprennent les logiques, et apprennent à les déconstruire.
Basile Asti, formateur de Captain Fact, résume la philosophie du programme : « Le fact-checking ne suffit plus. Il faut construire une culture critique partagée, en impliquant les citoyens comme des acteurs de la vérification. »
L’association française mise ainsi sur l’intelligence collective : dans l’un des ateliers, les participants sont invités à analyser la qualité de différentes sources d’information, débattre, et hiérarchiser selon la fiabilité perçue. Une méthode qui tranche avec les dispositifs descendants de type « cours magistral ».

Une OSC face au défi de la vérification électorale
Parmi les participants, Kana Linda, de l’ONG Communication et Citoyenneté, rappelle à quel point la désinformation fragilise leur mission quotidienne : « Nous faisons de la sensibilisation citoyenne. Une mauvaise information sur un élu, une réforme ou une ethnie peut ruiner des mois de travail et attiser les tensions. Et souvent, les gens ignorent que cela peut avoir des conséquences pénales. »
Sa voix rejoint celles de nombreux acteurs qui dénoncent un manque de coordination nationale sur ces sujets. À l’heure où la CEI s’active pour finaliser la liste électorale, où les partis peaufinent leurs stratégies de communication, aucun organe ne semble officiellement chargé de surveiller la qualité de l’information diffusée sur les plateformes numériques.
Quand l’État observe, la société civile s’organise
L’atelier du 24 juin ne se limite pas à une journée de formation. Il marque aussi l’officialisation du Bureau Pays Polaris Asso CI, désormais installé à Abidjan. Pour Ousseynou Gueye, Fondateur de l’ONG, venu de Dakar spécialement pour l’occasion, l’objectif de l’association est d’« aller chercher des génies créatifs et les embarquer dans une aventure nationale pour trouver des solutions d’échelle, des solutions exponentielles et des solutions à fort impact ».
« C’est le travail qu’on essaie de faire modestement. On a plusieurs programmes, on a accompagné une trentaine de personnes qui travaillent quotidiennement pour Polaris Asso, on a quelques centaines de bénévoles qui travaillent pour nous dans ces cinq pays, et c’est le lieu pour moi de remercier le travail impressionnant et incroyable que l’équipe d’Abidjan est en train de mettre en place pour Polaris Asso », a-t-il indiqué.
L’organisation prévoit d’étendre ses actions dans plusieurs villes ivoiriennes d’ici octobre, en s’appuyant sur ses OSC partenaires pour organiser d’autres sessions de formation et déploiements locaux.
« Ce que nous faisons ici est reproductible à l’échelle nationale. Nous avons juste besoin que cela ne reste pas isolé », insiste Sidibé Salifou.
L’enjeu est donc clair : il ne s’agit plus de savoir si la désinformation influencera la présidentielle, mais comment la société pourra y résister, et surtout qui s’en donnera les moyens.