Paix contre minerais : Kinshasa et Kigali scellent un accord stratégique à Washington

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La République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda ont signé, le 27 juin 2025 à Washington, un accord de paix censé mettre fin à près de trois décennies d’instabilité dans l’est congolais. Conclu sous la médiation des États-Unis et du Qatar, cet accord repose sur une offre explicite de « sécurité contre accès aux minerais stratégiques », selon des sources proches du dossier citées par AP News et The Financial Times.

Washington, à travers cette initiative, entend garantir une désescalade militaire dans la région tout en sécurisant l’approvisionnement américain en ressources critiques telles que le cobalt, le coltan, le lithium et le tantale. Ces matériaux sont essentiels à la fabrication de batteries et de technologies de l’énergie verte, dans un contexte de concurrence stratégique accrue avec la Chine.

Une crise enracinée depuis les années 1990

L’accord intervient à l’issue d’un cycle de violences amorcé il y a plus de 30 ans, dans les suites du génocide rwandais de 1994. Le massacre, qui a coûté la vie à environ 800 000 personnes, a entraîné un exode massif de réfugiés hutus vers l’est du Zaïre (aujourd’hui RDC), où certains groupes armés génocidaires ont continué de menacer Kigali.

Ce climat explosif a déclenché les deux guerres du Congo (1996-1997, puis 1998-2003), impliquant plusieurs armées étrangères, dont celles du Rwanda et de l’Ouganda. Depuis, l’est de la RDC est en proie à une instabilité chronique, avec plus d’une centaine de groupes armés actifs, dont le Mouvement du 23 mars (M23), accusé par les Nations unies d’être soutenu militairement par le Rwanda.

2025, année charnière

Début 2025, le M23 relance une offensive majeure dans les provinces du Nord et Sud-Kivu. Le mouvement s’empare successivement de Goma en janvier, puis de Bukavu en février. Ces opérations provoquent une catastrophe humanitaire : plus de 7 000 morts et près d’un million de déplacés, selon les estimations de l’ONU.

Malgré les efforts de médiation engagés par la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et la SADC, aucune percée significative n’avait été obtenue. C’est finalement l’administration américaine, avec le soutien du Qatar, qui a relancé les négociations, notamment via des canaux diplomatiques activés en mars 2025 à Doha et New York.

Un accord sous haute surveillance

L’accord de Washington prévoit :

– le retrait des troupes rwandaises de l’est congolais sous 90 jours ;

– la fin du soutien aux groupes armés, en particulier au M23, même si le texte ne le nomme pas explicitement ;

– un appui sécuritaire international à Kinshasa, en échange de garanties d’accès aux ressources minières pour les partenaires étrangers.

Selon The Financial Times, Gentry Beach, un financier américain proche de Donald Trump, pourrait bénéficier d’un contrat minier dans la région de Rubaya, dans le Masisi, un gisement de coltan jusqu’ici contrôlé par le M23. Cette possibilité illustre les ambitions économiques qui sous-tendent le volet stratégique de l’accord.

L’US Geological Survey estime que la RDC détient plus de 60% des réserves mondiales connues de cobalt, et une part significative du coltan, essentiel à la fabrication des condensateurs électroniques. Plus de 70% du cobalt mondial est aujourd’hui raffiné en Chine, ce qui fait de la sécurisation directe des gisements une priorité stratégique pour Washington.

Réactions mitigées et critiques

Si l’accord est présenté comme une avancée majeure vers la paix, plusieurs observateurs restent prudents. Human Rights Watch a exprimé ses réserves, soulignant que l’accord « n’aborde pas le cœur du problème, à savoir l’impunité des groupes armés et les enjeux de gouvernance locale ».

The Guardian rapporte par ailleurs que plusieurs ONG congolaises ont dénoncé l’opacité des négociations, pointant l’absence de consultation du Parlement national et des communautés affectées. Le manque de clarté sur les futures concessions minières suscite aussi des inquiétudes sur une possible “recolonisation économique” déguisée.

Un repositionnement géopolitique

En s’imposant comme médiateur, les États-Unis prennent le leadership diplomatique dans une région où la Chine a longtemps dominé les secteurs miniers. Le recul du rôle de l’EAC et de la SADC dans la résolution du conflit témoigne d’un réalignement des forces internationales en Afrique centrale.

Pour le président congolais Félix Tshisekedi, cet accord représente une victoire diplomatique fragile, mais potentiellement décisive. En obtenant un appui occidental clair, il renforce sa position intérieure et internationale. Pour Paul Kagame, président du Rwanda, le retrait militaire prévu devra s’accompagner d’un rétablissement de la confiance, dans un climat toujours tendu à la frontière.

Une paix conditionnelle, aux multiples inconnues

L’accord de Washington est sans conteste un tournant majeur, tant sur le plan politique qu’économique. Il lie pour la première fois de manière explicite sécurité régionale et accès aux ressources stratégiques, dans une logique de partenariat mais aussi de rapport de force.

Mais plusieurs interrogations demeurent : le désarmement du M23 sera-t-il effectif ? La distribution des bénéfices miniers profitera-t-elle aux Congolais ? Les engagements pris seront-ils suivis d’actes concrets, notamment en matière de justice et de reconstruction ?

Autant de questions qui détermineront si cette paix, scellée sous les dorures de Washington, survivra à la poussière rouge du Kivu.

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