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  • 01/10/2025

Afrique de l’Ouest / Lutte anticorruption : Spectacle médiatique ou vraie transparence ?

En Afrique de l’Ouest, la lutte contre la corruption et le blanchiment de capitaux suit deux trajectoires distinctes selon la langue officielle des États. Les pays anglophones — Nigeria, Ghana, Sierra Leone, Liberia — adoptent une communication publique agressive : noms, photos et avis de recherche de suspects sont régulièrement publiés, accompagnés de communiqués officiels. Cette visibilité, parfois qualifiée de « show disciplinaire », sert à dissuader, mobiliser l’opinion et démontrer des résultats concrets.

 

Au Nigeria, l’Economic and Financial Crimes Commission (EFCC) publie régulièrement les arrestations et listes de personnes recherchées. La Liberia Anti-Corruption Commission (LACC) et l’Anti-Corruption Commission de Sierra Leone appliquent des pratiques similaires, rendant publiques les déclarations d’actifs ou les suspensions administratives. Ces mesures renforcent la perception d’efficacité et la confiance du public dans les institutions.

 

À l’inverse, plusieurs pays francophones de la région — Côte d’Ivoire, Mali, Burkina Faso, Guinée, Sénégal — communiquent beaucoup moins sur leurs enquêtes et sanctions. Les organes anticorruption existent, mais les décisions restent souvent internes et peu médiatisées. Des ONG et observateurs dénoncent régulièrement des cas d’impunité ou de « recyclage » de responsables controversés via promotions ou mutations administratives.

 

Plusieurs facteurs expliquent ces divergences. Les systèmes de common law des pays anglophones privilégient des institutions indépendantes et la publicité des procédures. Dans les pays francophones, héritiers du droit civil européen, l’action judiciaire reste centralisée et sous influence de l’État, limitant la transparence.

 

La pression des médias joue aussi un rôle : presse et ONG plus actives dans les pays anglophones incitent les agences à communiquer, alors que l’autocensure et la dépendance économique des médias francophones freinent la diffusion des informations.

 

Les effets sont tangibles. La publicité des actions peut dissuader la fraude et renforcer la confiance citoyenne. À l’inverse, l’opacité nourrit la défiance et l’impression que les élites sont intouchables. Mais la visibilité seule ne suffit pas : l’indépendance réelle des organes anticorruption reste essentielle. Sans elle, la communication peut rester cosmétique.

 

Pour progresser, les pays francophones pourraient s’inspirer des bonnes pratiques anglophones. L’Association ivoirienne de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme (LCB-FT Ivoire) recommande de :

 

  • Publier systématiquement les informations clés (listes de personnes recherchées, décisions judiciaires abrégées).
  • Protéger l’indépendance des organes (budgets autonomes, règles de nomination sécurisées).
  • Renforcer les médias d’investigation et la protection des lanceurs d’alerte.
  • Harmoniser et publier les déclarations de patrimoine.
  • Développer la coopération régionale sur les enquêtes transfrontalières.

 

Selon LCB-FT Ivoire, ces différences ne sont pas absolues : certains pays francophones poursuivent et jugent des responsables, tandis que certains pays anglophones peuvent instrumenter la justice. La ligne de démarcation n’est donc pas stricte, mais le style de communication reste révélateur des priorités institutionnelles et des contraintes politiques dans la région.