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  • 05/09/2025

Guinée – Axis Minerals : Bras de fer autour de la bauxite

La Guinée est de nouveau au cœur de l’actualité minière. En mai dernier, le gouvernement de Conakry a brutalement retiré son permis d’exploitation à la société Axis Minerals. Une décision qui secoue le secteur, menace des milliers d’emplois et soulève de sérieuses inquiétudes chez les investisseurs étrangers.

 

Un retrait choc

 

Le 15 mai 2025, les autorités guinéennes ont annoncé à la télévision nationale la révocation du permis d’exploitation industrielle de la compagnie. L’annonce a été suivie de la fermeture des sites de Boffa–Fria, du gel des comptes bancaires de l’entreprise et de l’intervention des forces de sécurité.

 

Pourtant, Axis Minerals apparaissait jusque-là comme un opérateur exemplaire : en règle sur le plan fiscal, légal et social. Ses mines avaient permis d’exporter près de 40 millions de tonnes de bauxite entre 2023 et 2025, faisant de l’entreprise la deuxième source d’approvisionnement du pays.

 

Un impact social immédiat

 

Le choc ne se limite pas aux bilans financiers. Plus de 5 000 emplois directs et près de 10 000 emplois indirects sont aujourd’hui menacés. Dans les localités minières, la précarité s’installe. À Boffa, l’entreprise avait transformé l’économie locale, créant un tissu d’activités annexes autour de ses opérations.

 

Une stratégie nationale assumée

 

Pour le gouvernement, cette décision s’inscrit dans une politique plus large de « nationalisme des ressources ». Depuis 2021, Conakry renforce son contrôle sur les matières premières afin d’augmenter les retombées locales et de limiter la dépendance vis-à-vis des investisseurs étrangers. Une orientation que certains analystes qualifient de « pari risqué », car elle pourrait réduire l’attractivité du pays pour de nouveaux capitaux.

 

Selon Financial Afrik, cette crise « met à l’épreuve la gouvernance minière guinéenne et risque d’entacher durablement la confiance des investisseurs » (août 2025).

 

Le recours à l’arbitrage

 

Face à ce qu’elle considère comme une expropriation, Axis Minerals a porté l’affaire devant un tribunal fédéral de New York en juillet 2025. La société, représentée par le cabinet Jones Day, réclame plusieurs milliards de dollars d’indemnisation.

 

Pour l’État guinéen, il s’agit d’une bataille pour la souveraineté. Pour Axis, c’est une question de survie et de respect des engagements contractuels.

 

Un mouvement africain plus large

 

La Guinée n’est pas un cas isolé. D’autres pays africains ont déjà engagé un bras de fer similaire avec les majors du secteur extractif.

 

  • Tanzanie : en 2017, le président John Magufuli avait contraint Acacia Mining, filiale de Barrick Gold, à renégocier ses contrats, en imposant de lourdes amendes pour sous-déclaration d’exportations d’or.
  • République Démocratique du Congo : en 2018, Kinshasa a révisé son code minier, multipliant par cinq certaines redevances, notamment sur le cobalt, un minerai stratégique pour les batteries électriques.
  • Zambie : le gouvernement a renforcé la fiscalité sur le cuivre, tout en menaçant à plusieurs reprises de nationaliser des mines en cas de non-respect des obligations sociales et environnementales.

 

Ces initiatives montrent une tendance claire : les États veulent capter davantage de valeur ajoutée, quitte à froisser les investisseurs. Mais elles soulèvent toujours la même question : jusqu’où aller sans compromettre l’attractivité du pays ?

 

Le parallèle avec l’Alliance des États du Sahel

 

Le bras de fer guinéen résonne aussi avec l’attitude des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES : Mali, Burkina Faso, Niger). Ces trois pays, engagés dans une rupture politique avec leurs anciens partenaires occidentaux, veulent reprendre le contrôle de leurs ressources stratégiques.

 

  • Le Niger mise sur l’uranium, en renégociant ses accords d’exportation après la fin du contrat historique avec Orano (ex-Areva).
  • Le Mali a renforcé ses exigences dans l’or, secteur vital pour son économie.
  • Le Burkina Faso encourage la transformation locale des matières premières, notamment dans l’or et le manganèse.

 

Ces pays partagent avec la Guinée une même volonté : affirmer leur souveraineté économique et limiter les « contrats déséquilibrés » hérités du passé. Mais cette stratégie a un revers : elle accentue l’isolement financier et fragilise la confiance des investisseurs.

 

Un dilemme africain

 

Ce conflit illustre une problématique commune : comment garder la main sur ses ressources tout en maintenant un climat d’affaires stable ?

 

La Guinée, riche en bauxite — elle détient les plus importantes réserves mondiales —, joue une partie délicate où chaque décision est scrutée par les marchés internationaux. En allant trop loin, le pays risque de se retrouver catalogué parmi les destinations les moins attractives pour les investissements miniers.

 

L’affaire Axis Minerals dépasse les frontières guinéennes. Elle incarne le dilemme de nombreux pays africains : souveraineté ou attractivité ? Si Conakry parvient à concilier les deux, elle ouvrira la voie à un nouveau modèle de gouvernance des ressources. Dans le cas contraire, la sanction sera immédiate : perte d’emplois, fuite des capitaux et ralentissement de la croissance.