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  • 17/07/2025

« L’Afrique de l’Ouest dispose des ressources nécessaires pour une base industrielle solide » Olivier Buyoya, directeur pour l’Afrique de l’Ouest de la SFI (Partie 1)


En Afrique, le secteur privé est largement perçu comme le principal moteur de l’industrialisation et occupe une place centrale dans les stratégies de développement à long terme des États. Ce secteur reste toutefois dominé par les petites et moyennes entreprises (PME), qui jouent un rôle essentiel dans des chaînes de valeur encore peu développées. En Afrique de l’Ouest, la BCEAO estime que les PME représentent entre 80 % et 95 % du tissu entrepreneurial, selon les pays. Pourtant, leur accès limité au financement freine leur contribution au PIB et à la création d’emplois.

Dans cet entretien exclusif, Olivier Buyoya, directeur pour l’Afrique de l’Ouest à la Société financière internationale (SFI), branche du Groupe de la Banque mondiale dédiée au secteur privé, revient sur les défis et opportunités du financement de l’industrialisation en Afrique de l’Ouest, dans un contexte marqué par des contraintes internes et externes persistantes.

M. Buyoya, l’industrialisation est aujourd’hui considérée comme un levier essentiel de transformation économique en Afrique. Le Choiseul Africa Summit y consacre d’ailleurs une large place. Quels sont, selon vous, les principaux freins à cette transformation, notamment en Afrique de l’Ouest ?

Bonjour, et merci pour votre invitation. Si vous le permettez, j’aimerais d’abord évoquer les atouts de l’Afrique de l’Ouest en matière d’industrialisation. Il est important de regarder à la fois les opportunités et les défis. La région dispose de nombreux atouts : des ressources naturelles abondantes, un vaste espace géographique, une population en forte croissance, une main-d'œuvre abondante et relativement peu coûteuse. En dépit des instabilités politiques et économiques, c’est une région où la demande en biens et services industriels progresse rapidement, notamment dans l’agroalimentaire et les nouvelles technologies.

Mais cette transformation industrielle a été freinée par plusieurs facteurs. Le premier est l’absence d’une véritable intégration économique. Bien que la région dispose de cadres comme la CEDEAO ou l’UEMOA, la libre circulation des biens et des personnes reste limitée par des infrastructures insuffisantes. L’accès à l’énergie en est un bon exemple : elle est souvent peu disponible, coûteuse et peu fiable, alors qu’elle est fondamentale pour toute industrie. De plus, les infrastructures de transport restent en deçà des standards internationaux. Certes, les ports se multiplient, de Nouadhibou à Pointe-Noire, mais leur compétitivité reste limitée. Le réseau ferroviaire, quant à lui, est obsolète. De nombreuses zones de production restent ainsi enclavées et mal connectées aux débouchés portuaires.

Autre défi majeur : la formation. Une main-d’œuvre peu coûteuse ne suffit pas. Elle doit être qualifiée pour répondre aux besoins spécifiques de l’industrie. Enfin, comme dans d’autres secteurs économiques, l’accès au financement demeure limité et le climat des affaires reste perfectible. Malgré des efforts notables, les lenteurs administratives, l’obtention de permis ou les rapports entre secteur public et privé restent des freins à l’investissement industriel.

Malgré ces freins, on imagine que la SFI, très active dans la région, a identifié des secteurs industriels prometteurs. Lesquels présentent aujourd’hui les meilleures perspectives de croissance, et comment les accompagnez-vous ?

En effet. Le grand avantage de l’Afrique de l’Ouest, c’est qu’elle dispose des ressources nécessaires pour bâtir une base industrielle solide, dans de nombreux secteurs. Prenez l’industrie minière : la Mauritanie possède d’immenses réserves de fer, aujourd’hui exportées à l’état brut. Il existe une volonté politique de transformer ce minerai localement. Le même potentiel existe pour la bauxite en Guinée ou le phosphate au Sénégal.

Dans le textile, la région produit entre 2 et 3 millions de tonnes de coton chaque année. Pourtant, une grande partie est exportée vers l’Asie pour y être transformée, avant d’être réimportée sous forme de vêtements. Il est temps d’investir localement dans la filière textile pour capter plus de valeur ajoutée. L’agro-industrie représente également un potentiel immense. Que ce soit pour les produits d’exportation comme le cacao ou l’anacarde, ou pour la consommation locale comme le maïs ou le manioc, il y a un véritable marché à servir, dans une région qui s’urbanise rapidement.

Chaque pays a ses avantages : la Guinée et la Sierra Leone pour la bauxite, le Sénégal pour le phosphate, la Côte d’Ivoire pour le gaz, etc. Il est possible de structurer des filières industrielles cohérentes, tournées vers les marchés intérieurs comme vers l’exportation. À la SFI, notre mission est de soutenir le développement du secteur privé pour créer les millions d’emplois dont nos pays ont besoin. L’industrie est une priorité pour nous. Nous agissons à trois niveaux.

D’abord, avec nos collègues du Groupe de la Banque mondiale, nous travaillons avec les gouvernements pour renforcer le cadre macroéconomique, garantir la stabilité et mettre en place des politiques industrielles volontaristes : zones économiques spéciales, parcs industriels, incitations fiscales, etc. Ensuite, nous accompagnons les pays dans l’attraction d’investissements privés. Car il est admis que la croissance industrielle passera principalement par ces investissements, qu’ils soient étrangers ou locaux. Des groupes comme Dangote ou SIFCA investissent déjà dans des pays voisins pour structurer des filières. Ce sont ces "champions" industriels que nous appuyons.

Concrètement, nous apportons du financement adapté, en capital ou en dette à long terme, parfois en co-investissant aux côtés des promoteurs. Mais notre rôle va au-delà du financement. Nous intervenons aussi en amont, dans la structuration des projets, à travers une assistance technique, des études de faisabilité, la gestion des risques, y compris environnementaux et sociaux.

C’est cet accompagnement global que nous mettons à la disposition des investisseurs industriels. Mais il faut rappeler que c’est à la puissance publique de poser les bases d’un environnement propice : infrastructures, réglementation, stabilité. La SFI vient en appui pour transformer ces conditions favorables en projets concrets.

Vous avez présenté de manière générale la manière dont la SFI accompagne l’industrialisation. J’aimerais maintenant revenir sur trois freins majeurs évoqués plus tôt : l’énergie, les infrastructures et le financement. Ce sont des contraintes systémiques pour les industriels locaux. Comment la SFI intervient-elle concrètement pour les atténuer ?

Vous avez raison, ce sont des défis majeurs. Permettez-moi de les illustrer un à un. Sur l’énergie, c’est probablement le principal frein historique au développement industriel. Mais c’est aussi l’un des domaines où l’Afrique progresse le plus rapidement. En Côte d’Ivoire, par exemple, le choix a été fait de confier une large part de la production énergétique au secteur privé. Le Groupe de la Banque mondiale, à travers la SFI, a soutenu cette orientation depuis plus de 15 ans.

Aujourd’hui, plus de la moitié de l’électricité ivoirienne est produite par des opérateurs privés, dont beaucoup sont financés par la SFI. Nous avons soutenu ce mouvement en mobilisant des financements et en structurant des partenariats public-privé (PPP) solides. Le même schéma est en cours au Sénégal.

Bien sûr, cela ne signifie pas que tous les défis sont levés : la production reste insuffisante pour répondre à la demande croissante, et le coût de l’énergie reste élevé. Mais en développant des projets d’envergure, en favorisant la concurrence via des appels d’offres, les pays peuvent faire baisser progressivement les prix et rendre l’énergie plus compétitive pour l’industrie.

Sur les infrastructures de transport, la compétitivité passe par une logistique performante. Pour qu’un produit transformé localement puisse rivaliser avec celui d’un pays d’Asie ou d’Amérique du Sud, il faut des coûts de transport raisonnables. Aujourd’hui, il est parfois deux à trois fois plus cher d’acheminer un conteneur d’Abidjan vers Marseille que depuis le Pakistan ou la Chine.

C’est pourquoi nous soutenons la modernisation des infrastructures portuaires et aéroportuaires. Nous avons co-investi avec des groupes comme MSC, Bolloré ou d’autres dans la sous-région, notamment au Togo et au Cap-Vert, pour améliorer les capacités logistiques et réduire les coûts d’exportation. Concernant le financement, l’industrialisation ne peut réussir sans une approche chaîne de valeur. Ce qui distingue un pays comme le Maroc, par exemple, c’est son écosystème de PME/PMI capables de répondre aux besoins d’un grand groupe industriel comme Renault ou Peugeot.

À la SFI, nous finançons les grands industriels, mais aussi les maillons intermédiaires de ces chaînes, souvent via des banques locales, des sociétés d’assurance ou des fonds d’investissement. Nous soutenons également des FinTech ou institutions spécialisées pour faciliter l’accès au crédit aux PME, condition indispensable au développement d’un tissu industriel dense.

Vous avez évoqué les chaînes de valeur. Il y a parfois une inquiétude sur une industrialisation limitée à l’assemblage de pièces importées. Pensez-vous que l’Afrique de l’Ouest puisse développer de véritables chaînes de valeur locales intégrées ?

C’est une question fondamentale. Il faut voir l’industrialisation comme un processus graduel. Tous les pays qui ont émergé industriellement (la Chine, l’Inde, la Corée du Sud) ont commencé par bâtir des bases : infrastructures, main-d’œuvre qualifiée, cadre réglementaire.

Dans l’automobile, par exemple, il est normal de commencer par des unités d’assemblage. Cela nécessite une logistique irréprochable : des centaines de pièces doivent arriver au bon moment. Mais pour aller au-delà de l’assemblage, il faut bâtir un tissu de PME capables de produire localement ces pièces. Cela prend du temps, mais c’est une étape nécessaire.

Prenons un autre exemple : la bauxite. La Guinée produit plus de 120 millions de tonnes de bauxite par an. Aujourd’hui, elle est essentiellement exportée à l’état brut. Mais le véritable enjeu, c’est de passer à l’alumine, puis à l’aluminium. Pour cela, il faut de l’énergie bon marché – autour de 3 cents le kilowattheure – faute de quoi il est impossible de rivaliser avec des producteurs comme la Russie ou les Émirats. Les bases se mettent en place, mais là encore, il faut avancer par étapes.

Enfin, il ne faut pas oublier le rôle du marché intérieur. La CEDEAO, avec ses 400 à 500 millions d’habitants, représente un énorme potentiel. L’urbanisation et la montée d’une classe moyenne créent une demande en matériaux de construction, en biens de consommation, en énergie. C’est cette dynamique qui incitera les industriels à investir, à condition que les fondamentaux (énergie, infrastructures, climat des affaires, compétences) suivent.

Avec Agence ecofin

 

 

 

 

 

 

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