En Afrique, le
secteur privé est largement perçu comme le principal moteur de
l’industrialisation et occupe une place centrale dans les stratégies de
développement à long terme des États. Ce secteur reste toutefois dominé par les
petites et moyennes entreprises (PME), qui jouent un rôle essentiel dans des
chaînes de valeur encore peu développées. En Afrique de l’Ouest, la BCEAO
estime que les PME représentent entre 80 % et 95 % du tissu
entrepreneurial, selon les pays. Pourtant, leur accès limité au financement
freine leur contribution au PIB et à la création d’emplois.
Dans cet entretien
exclusif, Olivier Buyoya, directeur pour l’Afrique de l’Ouest à la Société
financière internationale (SFI), branche du Groupe de la Banque mondiale dédiée
au secteur privé, revient sur les défis et opportunités du financement de
l’industrialisation en Afrique de l’Ouest, dans un contexte marqué par des
contraintes internes et externes persistantes.
M. Buyoya, l’industrialisation est aujourd’hui considérée
comme un levier essentiel de transformation économique en Afrique. Le Choiseul
Africa Summit y consacre d’ailleurs une large place. Quels sont, selon vous,
les principaux freins à cette transformation, notamment en Afrique de l’Ouest ?
Bonjour, et merci pour votre invitation. Si vous le
permettez, j’aimerais d’abord évoquer les atouts de l’Afrique de l’Ouest en
matière d’industrialisation. Il est important de regarder à la fois les
opportunités et les défis. La région dispose de nombreux atouts : des
ressources naturelles abondantes, un vaste espace géographique, une population
en forte croissance, une main-d'œuvre abondante et relativement peu coûteuse.
En dépit des instabilités politiques et économiques, c’est une région où la
demande en biens et services industriels progresse rapidement, notamment dans
l’agroalimentaire et les nouvelles technologies.
Mais cette transformation industrielle a été freinée par
plusieurs facteurs. Le premier est l’absence d’une véritable intégration
économique. Bien que la région dispose de cadres comme la CEDEAO ou l’UEMOA, la
libre circulation des biens et des personnes reste limitée par des
infrastructures insuffisantes. L’accès à l’énergie en est un bon exemple :
elle est souvent peu disponible, coûteuse et peu fiable, alors qu’elle est
fondamentale pour toute industrie. De plus, les infrastructures de transport
restent en deçà des standards internationaux. Certes, les ports se multiplient,
de Nouadhibou à Pointe-Noire, mais leur compétitivité reste limitée. Le réseau
ferroviaire, quant à lui, est obsolète. De nombreuses zones de production
restent ainsi enclavées et mal connectées aux débouchés portuaires.
Autre défi majeur : la formation. Une main-d’œuvre peu
coûteuse ne suffit pas. Elle doit être qualifiée pour répondre aux besoins
spécifiques de l’industrie. Enfin, comme dans d’autres secteurs économiques,
l’accès au financement demeure limité et le climat des affaires reste
perfectible. Malgré des efforts notables, les lenteurs administratives,
l’obtention de permis ou les rapports entre secteur public et privé restent des
freins à l’investissement industriel.
Malgré ces freins, on imagine que la SFI, très active
dans la région, a identifié des secteurs industriels prometteurs. Lesquels
présentent aujourd’hui les meilleures perspectives de croissance, et comment
les accompagnez-vous ?
En effet. Le grand avantage de l’Afrique de l’Ouest, c’est
qu’elle dispose des ressources nécessaires pour bâtir une base industrielle
solide, dans de nombreux secteurs. Prenez l’industrie minière : la
Mauritanie possède d’immenses réserves de fer, aujourd’hui exportées à l’état
brut. Il existe une volonté politique de transformer ce minerai localement. Le
même potentiel existe pour la bauxite en Guinée ou le phosphate au Sénégal.
Dans le textile, la région produit entre 2 et 3 millions de
tonnes de coton chaque année. Pourtant, une grande partie est exportée vers
l’Asie pour y être transformée, avant d’être réimportée sous forme de
vêtements. Il est temps d’investir localement dans la filière textile pour
capter plus de valeur ajoutée. L’agro-industrie représente également un
potentiel immense. Que ce soit pour les produits d’exportation comme le cacao
ou l’anacarde, ou pour la consommation locale comme le maïs ou le manioc, il y
a un véritable marché à servir, dans une région qui s’urbanise rapidement.
Chaque pays a ses avantages : la Guinée et la Sierra
Leone pour la bauxite, le Sénégal pour le phosphate, la Côte d’Ivoire pour le
gaz, etc. Il est possible de structurer des filières industrielles cohérentes,
tournées vers les marchés intérieurs comme vers l’exportation. À la SFI, notre
mission est de soutenir le développement du secteur privé pour créer les
millions d’emplois dont nos pays ont besoin. L’industrie est une priorité pour
nous. Nous agissons à trois niveaux.
D’abord, avec nos collègues du Groupe de la Banque mondiale,
nous travaillons avec les gouvernements pour renforcer le cadre
macroéconomique, garantir la stabilité et mettre en place des politiques
industrielles volontaristes : zones économiques spéciales, parcs industriels,
incitations fiscales, etc. Ensuite, nous accompagnons les pays dans
l’attraction d’investissements privés. Car il est admis que la croissance
industrielle passera principalement par ces investissements, qu’ils soient
étrangers ou locaux. Des groupes comme Dangote ou SIFCA investissent déjà dans
des pays voisins pour structurer des filières. Ce sont ces
"champions" industriels que nous appuyons.
Concrètement, nous apportons du financement adapté, en
capital ou en dette à long terme, parfois en co-investissant aux côtés des
promoteurs. Mais notre rôle va au-delà du financement. Nous intervenons aussi
en amont, dans la structuration des projets, à travers une assistance
technique, des études de faisabilité, la gestion des risques, y compris
environnementaux et sociaux.
C’est cet accompagnement global que nous mettons à la
disposition des investisseurs industriels. Mais il faut rappeler que c’est à la
puissance publique de poser les bases d’un environnement propice :
infrastructures, réglementation, stabilité. La SFI vient en appui pour
transformer ces conditions favorables en projets concrets.
Vous avez présenté de manière générale la manière dont la
SFI accompagne l’industrialisation. J’aimerais maintenant revenir sur trois
freins majeurs évoqués plus tôt : l’énergie, les infrastructures et le
financement. Ce sont des contraintes systémiques pour les industriels locaux.
Comment la SFI intervient-elle concrètement pour les atténuer ?
Vous avez raison, ce sont des défis majeurs. Permettez-moi
de les illustrer un à un. Sur l’énergie, c’est probablement le principal frein
historique au développement industriel. Mais c’est aussi l’un des domaines où
l’Afrique progresse le plus rapidement. En Côte d’Ivoire, par exemple, le choix
a été fait de confier une large part de la production énergétique au secteur
privé. Le Groupe de la Banque mondiale, à travers la SFI, a soutenu cette
orientation depuis plus de 15 ans.
Aujourd’hui, plus de la moitié de l’électricité ivoirienne
est produite par des opérateurs privés, dont beaucoup sont financés par la SFI.
Nous avons soutenu ce mouvement en mobilisant des financements et en
structurant des partenariats public-privé (PPP) solides. Le même schéma est en
cours au Sénégal.
Bien sûr, cela ne signifie pas que tous les défis sont
levés : la production reste insuffisante pour répondre à la demande
croissante, et le coût de l’énergie reste élevé. Mais en développant des
projets d’envergure, en favorisant la concurrence via des appels d’offres, les
pays peuvent faire baisser progressivement les prix et rendre l’énergie plus
compétitive pour l’industrie.
Sur les infrastructures de transport, la compétitivité passe
par une logistique performante. Pour qu’un produit transformé localement puisse
rivaliser avec celui d’un pays d’Asie ou d’Amérique du Sud, il faut des coûts
de transport raisonnables. Aujourd’hui, il est parfois deux à trois fois plus
cher d’acheminer un conteneur d’Abidjan vers Marseille que depuis le Pakistan
ou la Chine.
C’est pourquoi nous soutenons la modernisation des
infrastructures portuaires et aéroportuaires. Nous avons co-investi avec des
groupes comme MSC, Bolloré ou d’autres dans la sous-région, notamment au Togo
et au Cap-Vert, pour améliorer les capacités logistiques et réduire les coûts
d’exportation. Concernant le financement, l’industrialisation ne peut réussir
sans une approche chaîne de valeur. Ce qui distingue un pays comme le Maroc,
par exemple, c’est son écosystème de PME/PMI capables de répondre aux besoins
d’un grand groupe industriel comme Renault ou Peugeot.
À la SFI, nous finançons les grands industriels, mais aussi
les maillons intermédiaires de ces chaînes, souvent via des banques locales,
des sociétés d’assurance ou des fonds d’investissement. Nous soutenons
également des FinTech ou institutions spécialisées pour faciliter l’accès au
crédit aux PME, condition indispensable au développement d’un tissu industriel
dense.
Vous avez évoqué les chaînes de valeur. Il y a parfois
une inquiétude sur une industrialisation limitée à l’assemblage de pièces
importées. Pensez-vous que l’Afrique de l’Ouest puisse développer de véritables
chaînes de valeur locales intégrées ?
C’est une question fondamentale. Il faut voir
l’industrialisation comme un processus graduel. Tous les pays qui ont émergé
industriellement (la Chine, l’Inde, la Corée du Sud) ont commencé par bâtir des
bases : infrastructures, main-d’œuvre qualifiée, cadre réglementaire.
Dans l’automobile, par exemple, il est normal de commencer
par des unités d’assemblage. Cela nécessite une logistique irréprochable :
des centaines de pièces doivent arriver au bon moment. Mais pour aller au-delà
de l’assemblage, il faut bâtir un tissu de PME capables de produire localement
ces pièces. Cela prend du temps, mais c’est une étape nécessaire.
Prenons un autre exemple : la bauxite. La Guinée
produit plus de 120 millions de tonnes de bauxite par an. Aujourd’hui, elle est
essentiellement exportée à l’état brut. Mais le véritable enjeu, c’est de
passer à l’alumine, puis à l’aluminium. Pour cela, il faut de l’énergie bon
marché – autour de 3 cents le kilowattheure – faute de quoi il est impossible
de rivaliser avec des producteurs comme la Russie ou les Émirats. Les bases se
mettent en place, mais là encore, il faut avancer par étapes.
Enfin, il ne faut pas oublier le rôle du marché intérieur.
La CEDEAO, avec ses 400 à 500 millions d’habitants, représente un énorme
potentiel. L’urbanisation et la montée d’une classe moyenne créent une demande
en matériaux de construction, en biens de consommation, en énergie. C’est cette
dynamique qui incitera les industriels à investir, à condition que les
fondamentaux (énergie, infrastructures, climat des affaires, compétences)
suivent.
Avec Agence ecofin
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