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  • 15/07/2025

Engrais : Aliko Dangote lance un pari audacieux pour libérer l’Afrique de sa dépendance aux importations

Aliko Dangote, industriel nigérian et figure incontournable de l’économie africaine, veut faire sauter l’un des principaux verrous de la souveraineté agricole du continent : la dépendance aux importations d’engrais. Dans un message publié sur LinkedIn le 15 juillet 2025, il fixe un objectif ambitieux : rendre l’Afrique autosuffisante en engrais d’ici 40 mois. Un horizon serré, mais qui repose sur une stratégie industrielle déjà bien entamée au Nigeria et des projets en cours dans plusieurs pays africains.

 

Lekki, vitrine de l’ambition industrielle nigériane

 

C’est à Lekki, dans la zone franche portuaire à l’est de Lagos, que Dangote a posé la première pierre de sa stratégie. Inaugurée en 2022, son usine géante produit jusqu’à 3 millions de tonnes d’urée par an, faisant d’elle la plus grande unité de production d’engrais d’Afrique. Alimentée en gaz naturel, cette installation a permis au Nigeria de réduire significativement ses importations, auparavant estimées à 500 millions de dollars par an.

 

Aujourd’hui, environ 37% de cette production est exportée, notamment vers le Brésil et les États-Unis. Mais Dangote ne compte pas s’arrêter là : lors des Assemblées générales d’Afreximbank en juin 2025, il a annoncé le doublement de la capacité de production de Lekki, avec l’ambition de faire du Nigeria l’un des principaux producteurs mondiaux d’urée, au même niveau que des acteurs comme le Qatar ou la Russie.

 

Une stratégie continentale en construction

 

Au-delà du Nigeria, le conglomérat Dangote Industries entend élargir son empreinte industrielle. En juillet 2025, le groupe a obtenu le feu vert pour construire une nouvelle usine en Éthiopie, d’un coût estimé à 3 milliards de dollars. Prévue pour 2028, cette installation cible le marché du deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, qui figure aussi parmi les plus gros importateurs d’engrais du continent.

 

D'autres discussions sont en cours au Sénégal et au Gabon, illustrant une volonté de maillage panafricain. Cette expansion géographique s’inscrit dans une dynamique plus large de réduction de la dépendance du continent aux engrais importés, notamment depuis la guerre en Ukraine, qui a profondément perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales.

 

Des partenariats stratégiques pour combiner les ressources africaines

 

La stratégie de Dangote repose aussi sur des alliances. En particulier avec l’Office Chérifien des Phosphates (OCP), basé au Maroc, avec qui une coopération a été initiée dès 2016. En combinant les ressources en gaz du Nigeria (source d’azote pour l’urée) avec les réserves marocaines de phosphate, le groupe entend proposer des engrais formulés localement, adaptés aux sols et aux cultures africaines.

 

Actuellement, la consommation moyenne d’engrais en Afrique est estimée à 10 kg par hectare, loin derrière la moyenne mondiale (environ 130 kg/ha selon la FAO), et bien en dessous des 100 kg/ha nécessaires pour atteindre des rendements agricoles optimaux. Augmenter cette consommation, tout en réduisant les coûts d’accès, constitue un enjeu crucial pour la sécurité alimentaire du continent.

 

Retombées économiques et défis industriels

 

Au Nigeria, où plus de 70% de la population vit de l’agriculture, l’accès à des engrais produits localement permet non seulement de stimuler les rendements agricoles, mais aussi de créer de l’emploi. L’usine de Lekki soutient déjà des milliers de travailleurs directs et indirects. L’Éthiopie, elle aussi fortement agricole, devrait bénéficier d’effets similaires.

 

Mais les ambitions de Dangote se heurtent aussi à plusieurs défis. Sur le marché nigérian, l’entreprise fait face à la concurrence d’acteurs comme Indorama Eleme, qui produit 1,4 million de tonnes d’urée par an. À l’échelle mondiale, des groupes comme Yara (Norvège), Nutrien (Canada) ou Mosaic (États-Unis) dominent encore le marché. En outre, l’Afrique reste tributaire des importations de potasse, un autre composant clé des engrais, que ni le Nigeria ni le Maroc ne produisent en quantité suffisante.

 

Les coûts d’investissement sont également considérables : l’usine de Lekki a nécessité 2,5 milliards de dollars, et son extension mobilisera des financements encore plus importants. Les fluctuations des prix du gaz naturel, matière première essentielle à la production d’urée, représentent aussi un facteur de risque non négligeable.

 

Vers une souveraineté agricole continentale ?

 

Au-delà des engrais, Aliko Dangote nourrit une vision plus large : celle d’une industrialisation de l’agriculture africaine. Ses projets d’infrastructures – dont un port en eaux profondes à Olokola et une jetée privée à Lekki – visent à fluidifier les exportations et à intégrer les filières agro-industrielles, du riz au sucre.

 

Reste à savoir si cette vision se concrétisera à l’échelle du continent. La réussite du modèle nigérian, sa réplication dans d’autres pays africains et la coordination avec les politiques publiques agricoles seront déterminantes. Si ces conditions sont réunies, l’Afrique pourrait, à moyen terme, non seulement cesser d’importer la majorité de ses engrais, mais aussi devenir un acteur clé du marché mondial.
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