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  • 05/05/2025

Gaz au large de la Somalie : la promesse d'une renaissance sous haute vigilance


Longtemps classée parmi les pays les plus instables du monde, la Somalie pourrait amorcer un tournant inattendu. À une centaine de kilomètres de ses côtes, des forages exploratoires offshore menés par la compagnie pétrolière publique turque TPAO ont mis au jour des indices de gaz naturel en quantité potentiellement exploitable. Si ces découvertes se confirment, le pays pourrait entrer dans le cercle très fermé des nations africaines productrices de gaz, à l’image du Mozambique ou de la Tanzanie.

Des forages prometteurs, mais prudence sur les chiffres

L’exploration s’inscrit dans le cadre d’un accord bilatéral signé en mars 2024 entre la Turquie et la Somalie, attribuant à TPAO trois blocs offshore dans l’océan Indien. Selon les premières données de test issues de puits forés sur ces blocs, deux sites présenteraient des signes d’accumulation de gaz. Les chiffres avancés, bien que préliminaires, évoquent plusieurs milliards de barils équivalents en gaz naturel — des volumes qui demandent confirmation par des audits indépendants.

À ce stade, aucune estimation officielle validée par des organismes spécialisés comme le Wood Mackenzie ou la Banque mondiale n’a encore été publiée. Ce flou sur les réserves réelles invite à la prudence, alors que des expériences passées en Afrique ont montré que les annonces précipitées pouvaient s’avérer trompeuses.

Une opportunité pour un pays en quête de reconstruction

Pour la Somalie, dont l’économie reste largement informelle et dépendante de l’aide internationale, cette perspective constitue une chance historique de redéfinir son modèle de développement. L’exploitation gazière, si elle se concrétise, pourrait générer des revenus fiscaux considérables, financer les infrastructures, créer des emplois qualifiés et renforcer les capacités de l’État somalien.

Cependant, cette promesse n’est pas sans conditions. La mise en place d’un cadre juridique transparent, la réforme des institutions de gouvernance des ressources, et la mise en place de mécanismes de partage équitable des revenus seront essentiels pour éviter les dérives bien connues de la “malédiction des ressources” qui a miné des pays comme le Nigeria ou l’Angola.

Ankara, entre investissement stratégique et influence régionale

L’accord énergétique entre Mogadiscio et Ankara s’inscrit dans une dynamique plus large de déploiement turc sur le continent africain. La Turquie, présente militairement à Mogadiscio depuis 2017 via une base de formation militaire, renforce ainsi sa stratégie d’influence dans la Corne de l’Afrique, une zone convoitée par d’autres puissances régionales comme les Émirats arabes unis ou la Chine.

Ce partenariat asymétrique confère à la Turquie un accès privilégié à des ressources vierges, tout en offrant à la Somalie un soutien logistique, diplomatique et sécuritaire. Toutefois, certains analystes s’interrogent sur la durabilité d’une relation aussi déséquilibrée, notamment en cas de changement politique ou de contestation populaire.

Une région sous tension, un timing stratégique

Cette découverte intervient alors que d'autres pays d'Afrique de l'Est, tels que le Mozambique, ont déjà engagé une industrialisation de leurs gisements offshore. Le projet gazier mozambicain, conduit notamment par TotalEnergies, a toutefois été freiné par des insurrections armées dans le nord du pays. La Somalie pourrait, à son tour, faire face à des défis sécuritaires similaires, notamment dans les zones côtières sous pression des groupes armés.

La proximité géographique avec les routes maritimes commerciales du golfe d’Aden et de la mer Rouge donne en outre à ce projet une dimension géopolitique majeure. Si la sécurité maritime est assurée, l’exportation du gaz liquéfié vers l’Asie ou l’Europe devient envisageable, dans un contexte mondial de diversification énergétique post-crise ukrainienne.

De l’exploration à la production : le long chemin de la crédibilité

Avant toute exploitation commerciale, plusieurs étapes critiques restent à franchir : certification des réserves, investissements dans des infrastructures lourdes (gazoducs, terminaux GNL, routes), formation d’une main-d'œuvre qualifiée et sécurisation des sites. La Somalie devra aussi rassurer les investisseurs étrangers, garantir la transparence des contrats, et prévenir les tensions locales liées au partage des bénéfices.

Enfin, le cadre législatif reste à bâtir : aucune loi spécifique sur la gestion des hydrocarbures n’a encore été adoptée par le parlement somalien. L’appui d’organismes internationaux et l’assistance technique seront indispensables pour structurer ce secteur naissant.

Une promesse à encadrer

La Somalie n’est pas encore un acteur énergétique. Mais elle dispose désormais d’une carte à jouer. Si la gestion de cette découverte est rigoureuse, inclusive et tournée vers le développement à long terme, elle pourrait marquer le début d’une transformation économique et institutionnelle profonde.

L’histoire récente regorge toutefois d’exemples où les ressources naturelles ont alimenté les conflits, la corruption ou les inégalités. Pour la Somalie, tout l’enjeu est de faire du gaz non pas une rente, mais un levier de souveraineté et de reconstruction.

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