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  • 27/08/2025

Ouganda : Kingfisher, opportunité historique ou piège pétrolier ?

L’Ouganda s’apprête à entrer dans l’ère pétrolière avec le champ de Kingfisher, exploité par la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), dont les premiers barils sont attendus fin 2025. Ce projet, combiné au projet Tilenga de TotalEnergies, pourrait porter la production totale à 230 000 barils par jour et générer jusqu’à 1,5 milliard de dollars de revenus annuels pour l’État.

 

Les perspectives économiques sont importantes. Les réserves du lac Albert sont estimées à 6,5 milliards de barils, dont 1,4 milliard récupérables. Selon l’Uganda National Oil Company (UNOC), le secteur pétrolier pourrait créer plus de 160 000 emplois, dont 14 000 directs, et générer des opportunités indirectes dans la construction et les services. La construction d’une raffinerie de 60 000 barils par jour et de l’oléoduc EACOP vers la Tanzanie dynamiserait l’énergie et le transport. Le gaz associé pourrait alimenter de nouvelles centrales électriques, améliorant l’accès à l’électricité, limité actuellement à 36% en zones rurales.

 

Pour un pays où le PIB par habitant est de 1 163 dollars, ce boom pétrolier représente une chance majeure de rattraper des producteurs africains comme le Gabon ou le Congo. Les investissements directs étrangers affluent : TotalEnergies et CNOOC prévoient 1,2 milliard de dollars pour les entrepreneurs locaux pendant la phase de construction.

 

Mais les risques sont réels. Entre 15 000 et 50 000 villageois ont été expropriés, souvent avec des compensations insuffisantes et lentes. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) dénonce « de nouvelles violations des droits humains, y compris des abus au travail ». La corruption reste une menace : depuis 2011, des ministres ont été accusés de pots-de-vin et le fonds pétrolier créé en 2015 est parfois détourné pour des dépenses courantes. Human Rights Watch note : « Notre confiance est brisée : perte de terres et de moyens de subsistance pour le développement pétrolier en Ouganda. »

 

Les inégalités s’aggravent. Les emplois profitent surtout aux jeunes hommes, tandis que les femmes et les pêcheurs du lac Albert restent marginalisés. Les restrictions sur le lac perturbent la pêche, vitale pour de nombreuses communautés. Environ 21% des Ougandais vivent en extrême pauvreté. La dépendance au pétrole pourrait également freiner la diversification économique, surtout avec la baisse attendue de la demande mondiale et un prix prévisionnel de 70 dollars le baril en 2024, selon Citigroup.

 

Plus de 100 puits ont déjà été forés, et les étapes clés du projet sont atteintes. Pour maximiser les bénéfices et limiter les risques sociaux, une gouvernance transparente est cruciale. Le modèle norvégien de fonds souverain montre que des institutions solides peuvent transformer le pétrole en richesse durable.

 

Kingfisher offre donc à l’Ouganda une chance historique. Mais sans vigilance, sans redistribution équitable et sans institutions fortes, le pétrole pourrait devenir un fardeau plutôt qu’un moteur de développement. Les autorités doivent équilibrer croissance économique et justice sociale pour que le pétrole profite à tous les Ougandais.