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  • 28/07/2025

Société Générale : Retrait d’Afrique, scandale en France – Repositionnement ou repli stratégique ?

"L’Afrique ne peut plus être un marché d’appoint. Elle exige une vision, une ambition, une éthique." — Mamadou Soumahoro

 

Alors que Société Générale se retire progressivement du continent africain, qu’elle avait pourtant contribué à bancariser depuis des décennies, l’établissement bancaire français est aujourd’hui secoué en métropole par une enquête judiciaire pour blanchiment d’argent et fraude fiscale. Ce double contexte soulève des interrogations sur les véritables raisons de ce retrait et ses implications pour les économies africaines. Décryptage sans concession avec Mamadou Soumahoro, expert bancaire et spécialiste du financement structuré.

 

Un désengagement dicté par la rentabilité ?

 

Jean-Marc Gogbeu : Pour commencer, quels sont, selon vous, les facteurs principaux qui poussent Société Générale à se retirer progressivement d’un marché africain où elle était pourtant bien implantée ?

Mamadou Soumahoro : Le retrait de Société Générale est d’abord un choix stratégique. Le groupe veut recentrer ses activités sur ses zones historiques de rentabilité, notamment l’Europe de l’Ouest. L’Afrique, malgré son dynamisme, reste un marché perçu comme risqué, avec une faible bancarisation, des contraintes réglementaires fortes et une rentabilité à long terme. Il s’agit aussi d’une volonté de se délester d’actifs jugés non stratégiques dans le cadre d’une simplification globale.

 

Résultats en baisse et simplification du portefeuille

 

JMG : Le ralentissement des résultats en Afrique peut-il expliquer ce retrait, ou faut-il y voir une stratégie plus globale ?

MS : Les deux sont liés. En Afrique, certaines filiales ont vu leur croissance ralentir, avec une hausse du coût du risque. Le plan "Vision 2025" de la Société Générale vise justement à se concentrer sur des marchés plus rentables et à renforcer la solidité financière en réduisant les expositions périphériques.

 

Des marchés africains aux profils hétérogènes

 

JMG : Les cessions n’ont pas concerné tous les pays. Quels sont les freins spécifiques à certains marchés ?

MS : Chaque marché a ses propres complexités. En Côte d’Ivoire, la concurrence est féroce. Au Sénégal, la réglementation sur les capitaux est très stricte. En RDC ou au Cameroun, les risques politiques ralentissent les transactions. Il faut composer avec les autorités locales pour assurer des transitions responsables.

 

L’ombre de l’enquête judiciaire en France

 

JMG : La Société Générale est aussi visée par une enquête pour blanchiment d’argent et fraude fiscale. Ce scandale a-t-il influencé son retrait d’Afrique ?

MS : Même si les dirigeants s’en défendent, l’impact est évident. Une banque fragilisée par un scandale judiciaire cherche à minimiser les risques de réputation. Or, certains marchés africains sont plus exposés aux zones grises de conformité. C’est un facteur aggravant dans la décision de retrait.

 

Réputation écornée, impact démultiplié en Afrique

 

JMG : Une telle affaire peut-elle affecter la perception du groupe en Afrique ?

MS : Totalement. En Afrique, la relation de confiance est capitale. La moindre suspicion peut faire fuir les clients, surtout institutionnels. Une réputation entachée en Europe peut avoir des effets dévastateurs dans un environnement bancaire africain très sensible.

 

Gouvernance et conformité : le grand nettoyage ?

 

JMG : Quelles conséquences institutionnelles pour la banque sur le plan de la gouvernance ?

MS : Pression maximale sur la conformité. Renforcement des équipes KYC, centralisation des risques, audit interne renforcé… C’est tout l’appareil de gouvernance qui doit être revu, notamment pour rassurer les régulateurs et les marchés.

 

Conséquences pour les économies locales

 

JMG : Ce retrait aura-t-il des effets économiques tangibles dans les pays concernés ?

MS : Oui. Dans certains pays, Société Générale était un acteur majeur, notamment pour le financement structuré ou le leasing. Cela laissera un vide. Mais cela ouvre aussi une fenêtre d’opportunité pour les banques africaines prêtes à monter en gamme.

 

Une opportunité de souveraineté financière ?

 

JMG : Le transfert des filiales à des groupes locaux est-il une chance pour les banques africaines ?

MS : Absolument. Cela permettrait de renforcer la souveraineté bancaire, à condition que les repreneurs maintiennent un haut niveau de service et de gouvernance. Des groupes comme Vista Bank, Coris Bank ou d’autres sont bien positionnés pour relever le défi.

 

Fuite en avant ou repositionnement stratégique ?

 

JMG : Finalement, ce désengagement traduit-il une vision ou une fuite ?

MS : Pour moi, c’est une réponse à un besoin de survie dans un monde bancaire en mutation. Ce n’est ni une fuite, ni un simple repositionnement. C’est une mue nécessaire pour rester compétitif face à la pression des fintechs, des régulateurs et des attentes sociétales.

 

 Encadré : Ce que les autres banques doivent retenir

"La leçon pour les banques internationales en Afrique, c’est qu’il faut plus que jamais une stratégie claire, des dispositifs de conformité solides et une volonté sincère d’investir dans l’avenir du continent."

✔️ Être présent en Afrique ne peut plus relever de l’opportunisme. Il faut s’ancrer localement, investir sur le long terme, et faire preuve d’une gouvernance exemplaire. L’avenir appartient à ceux qui sauront conjuguer rentabilité et responsabilité.