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  • 05/08/2025

70% du prix mondial : Le Ghana remet les producteurs de cacao au centre du jeu

Le prix producteur du cacao ghanéen connaît une hausse historique. Derrière cette annonce, une véritable reprise en main politique et sociale d’un secteur stratégique. Analyse.

 

Le gouvernement ghanéen vient d’annoncer une mesure qui pourrait marquer un tournant dans l’histoire de sa filière cacao. Le prix payé aux producteurs pour la campagne 2025/2026 grimpe à 5 040 dollars US la tonne, contre 3 100 dollars l’année précédente. Soit une hausse de 62,58%, sans précédent ces dernières années.

 

“Cette décision reflète notre engagement à protéger les revenus des producteurs face à l’inflation et aux fluctuations mondiales,” a déclaré Dr. Cassiel Ato Forson, ministre des Finances, dans un communiqué publié le 4 août 2025.

 

Une promesse tenue : 70% du prix FOB

 

Cette revalorisation porte la rémunération des producteurs à 70% du prix FOB (Free-On-Board), c’est-à-dire du prix d’exportation brut. C’est la première fois depuis plusieurs campagnes que ce seuil est atteint, respectant ainsi la promesse faite par le président John Mahama lors de son retour au pouvoir.

 

En comparaison, sous l’administration précédente (NPP), le prix FOB pour la campagne 2024/2025 s’élevait à 4 850 dollars, mais les producteurs ne touchaient que 3 100 dollars, soit 63,9% du prix de vente.

 

Retour sur une décennie d’écarts croissants

 

Le Ghana, deuxième producteur mondial de cacao, a longtemps été accusé par ses propres paysans de mal redistribuer les revenus générés par les ventes internationales. En 2023/2024, des contrats d’exportation avaient été conclus à plus de 6 260 dollars la tonne, mais le prix payé aux cultivateurs restait inférieur à 2 100 dollars. Un fossé injustifiable, à l’heure où le cacao atteignait des records sur les marchés mondiaux.

 

“Ce déséquilibre est une des principales causes de la pauvreté rurale persistante dans notre pays,” soulignait Kwabena Frimpong, économiste à l’Université du Ghana, dans une analyse publiée dans le Daily Graphic en mai 2024.

 

Une réforme qui va au-delà du prix


Le gouvernement Mahama ne s’est pas contenté de rehausser le tarif. Il a lancé une réforme structurelle de la filière cacao :


  • Distribution gratuite d’engrais, fongicides et bottes ;
  • Système de pesée numérique dans les stations d’achat ;
  • Révision des marges commerciales dans la chaîne d’approvisionnement ;
  • Interdiction d’achat de cacao issu de zones déforestées ou du travail des enfants, pour se conformer à la réglementation européenne sur la traçabilité (EUDR).

 

Autrement dit, l’État entend reprendre le contrôle de toute la chaîne de valeur, tout en garantissant des conditions de production éthiques.

 

Un signal fort au marché et aux partenaires


Cette politique, inédite depuis les années Rawlings, envoie un message clair aux partenaires internationaux : le Ghana ne bradera plus le travail de ses cultivateurs. L’objectif est aussi d'éviter la fuite du cacao vers la Côte d’Ivoire, où les prix étaient souvent mieux alignés sur les standards du marché.

 

Le COCOBOD (organisme public de régulation du cacao) a également annoncé l'arrêt de certains projets d'irrigation transfrontaliers, pour recentrer les investissements sur les exploitations locales.

 

Une leçon régionale ?

 

Cette stratégie ghanéenne pourrait inspirer d’autres pays producteurs. En Côte d’Ivoire, par exemple, les débats sur la redistribution équitable des revenus et le manque de transparence du Conseil Café-Cacao restent d’actualité. Le Ghana, en alignant le prix producteur sur les prix internationaux, relance le débat sur le pouvoir de négociation des pays africains face aux multinationales du chocolat.

 

Les producteurs au centre

 

Après des années de marginalisation, les cacaoculteurs ghanéens reviennent au centre du jeu économique et politique. Ce virage ne résout pas tout — il reste les défis du changement climatique, de la spéculation et de la qualité des intrants — mais il marque une rupture importante dans la manière dont l’État considère ses producteurs.

 

C’est, à tout le moins, le début d’une réhabilitation attendue. Et peut-être, un modèle à suivre pour toute l’Afrique cacaoyère.