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  • 10/09/2025

Dette et climat : Ruto dénonce un “nouveau colonialisme financier”

Le président kényan William Ruto a choisi Addis-Abeba pour tirer une salve contre l’architecture financière mondiale. Au 2ᵉ Sommet africain sur le climat, début septembre, il a dénoncé un système qui, selon lui, étrangle les pays pauvres sous le poids de dettes coûteuses, tout en laissant les pays riches se financer à bas prix. Une mécanique qu’il n’a pas hésité à qualifier de “nouveau colonialisme financier”.

 

Un système à deux vitesses

 

“Le système actuel punit les pays pauvres avec des taux d’intérêt élevés, tandis que les pays riches bénéficient de taux très bas”, a lancé Ruto devant les chefs d’État africains, ministres et experts réunis dans la capitale éthiopienne.

 

Le constat est brutal. En moyenne, les pays africains empruntent sur les marchés internationaux à des taux dépassant 10%, quand les économies développées lèvent des fonds à moins de 2%. Le Ghana, par exemple, a émis en 2021 un eurobond à 8,875% ; au même moment, l’Allemagne empruntait à taux négatif. Résultat : les marges budgétaires s’évaporent, et les investissements dans la transition énergétique, l’éducation ou la santé sont repoussés.

 

Un héritage postcolonial

 

En qualifiant cette mécanique de “colonialisme de nouvelle génération”, Ruto fait écho à un débat ancien. Depuis les années 1980, les plans d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale ont souvent été perçus comme une mise sous tutelle économique, réduisant la souveraineté des États africains.

 

Aujourd’hui encore, le “Cadre commun” du FMI, censé organiser la restructuration de la dette, est jugé lent et inefficace. La Zambie a dû attendre plus de trois ans pour finaliser un accord avec ses créanciers, une durée qui illustre les blocages persistants.

 

Dette et climat, un combat indissociable

 

Au sommet d’Addis-Abeba, la question n’était pas seulement financière. Elle était aussi climatique. L’Afrique contribue à moins de 4% des émissions mondiales de CO₂, mais elle est le continent le plus vulnérable aux sécheresses, aux inondations et aux crises alimentaires liées au climat.

 

“Tant que nous restons prisonniers de dettes coûteuses, nos engagements climatiques resteront aspirationnels, sans impact réel”, a averti Ruto. Selon la Banque africaine de développement, le continent a besoin de près de 250 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour financer son adaptation et sa transition énergétique.

 

Une réforme attendue

 

Cette dénonciation s’inscrit dans la continuité des appels lancés lors du Sommet de Nairobi en 2023 et du Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial. Les dirigeants africains réclament notamment une émission accrue de Droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI et des conditions de prêt équitables pour soutenir les pays vulnérables.

 

Mais pour Ruto, il ne s’agit plus seulement d’ajuster à la marge. C’est une refonte complète de l’architecture financière mondiale qu’il appelle de ses vœux, afin de permettre aux pays africains de redevenir acteurs de leur destin économique et climatique.

 

Vers un rapport de force ?

 

L’Éthiopie, le Sénégal, l’Afrique du Sud et le Nigeria ont soutenu l’appel à une réforme. Mais au-delà de l’unité affichée, la question centrale reste entière : les pays du Nord accepteront-ils de céder une part de leur confort financier pour donner à l’Afrique l’espace budgétaire dont elle a besoin ?

 

En dénonçant un “colonialisme financier”, Ruto a replacé le débat sur un terrain politique et symbolique fort. Son message est clair : l’Afrique ne veut plus tendre la main. Elle réclame des règles du jeu équitables pour financer son avenir.

 

Le sommet d’Addis-Abeba n’a pas livré de solutions concrètes. Mais il a marqué une étape. L’Afrique ne veut plus être spectatrice des négociations mondiales. En dénonçant un système qui perpétue l’asymétrie entre Nord et Sud, William Ruto a jeté les bases d’un nouveau rapport de force. Le véritable test sera de savoir si ce cri d’alarme se traduira en réformes tangibles… ou s’il restera une déclaration de plus dans le grand théâtre des sommets internationaux.