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  • 01/08/2025

Finance / Diaspora : Un levier sous-exploité pour financer les économies africaines

Face à la contraction des marges budgétaires et à la hausse des coûts de la dette, plusieurs pays africains s’interrogent sur de nouvelles sources de financement. Dans ce contexte, les ressources issues des diasporas – transferts de fonds et investissements – émergent comme une piste sérieuse mais encore peu mobilisée. Un récent rapport publié dans la série This Week in Macroeconomics par Phyllis Papadavid (ODI Global) met en lumière le potentiel et les limites de ce levier financier pour des pays comme le Nigéria, le Kenya ou encore l’Éthiopie.

 

Des transferts fiables, mais des investissements encore timides

 

Depuis plusieurs années, les transferts de fonds de la diaspora constituent une source stable et significative de revenus pour de nombreuses économies africaines, souvent au-delà des flux d’IDE ou d’investissements de portefeuille. D’après la Banque mondiale, ces transferts représentent parfois plusieurs points de PIB, comme au Nigéria ou au Kenya. Toutefois, souligne le rapport, « si ces transferts se sont avérés fiables, le succès des différents mécanismes d’investissement de la diaspora a été mitigé ».

 

Le cas éthiopien en est une illustration. Deux obligations de la diaspora émises en 2008 et 2011, toutes deux libellées en dollars, n’ont pas rencontré le succès escompté. En cause : une absence de garanties perçues, des incertitudes réglementaires, et une confiance limitée dans les conditions de remboursement.

 

Le Nigéria : l’exemple d’une mobilisation réussie

 

À l’inverse, le Nigéria a réussi en 2017 à émettre une obligation de la diaspora de 300 millions de dollars, qui a été sursouscrite à 130%. Ce succès s’explique notamment par les protections réglementaires et juridiques apportées par une cotation internationale. Le pays reste toutefois sous pression : baisse des revenus pétroliers, inflation, dépréciation du naira, et un ratio service de la dette/recettes estimé à 111%.

 

Dans un tel contexte, les obligations de la diaspora apparaissent comme un outil mobilisable pour canaliser l’épargne des émigrés et relancer la liquidité du marché local. Le rapport note que « les obligations libellées en naira pourraient servir de couverture supplémentaire […] et d’alignement des passifs sur la monnaie locale », à condition que les investisseurs soient rassurés sur la stabilité macroéconomique du pays.

 

Le Kenya : l’innovation ne suffit pas

 

Le Kenya, pour sa part, a exploré la voie de l’innovation numérique avec M-Akiba, première obligation d’État souscrite via téléphone mobile. Si le projet a marqué les esprits, il a connu de faibles taux de souscription, en raison notamment de difficultés liées au processus d’achat. Le rapport souligne que le pays dispose pourtant d’infrastructures fintech solides qui pourraient être mises à profit dans le cadre d’un futur projet d’obligation de la diaspora.

 

Phyllis Papadavid précise que « grâce à des taux d’entrée plus attractifs et à des incitations fiscales ciblées sur la diaspora, le marché obligataire local du Kenya pourrait prospérer », en réduisant sa dépendance à la dette extérieure et en diversifiant son financement domestique.

 

Des obstacles persistants, mais un potentiel réel

 

La mobilisation de l’épargne de la diaspora reste confrontée à plusieurs freins. D’abord, la convertibilité limitée de certaines monnaies africaines augmente la perception du risque. Ensuite, la majorité des investisseurs de la diaspora restent orientés vers la préservation du capital, et réclament des incitations fiscales et des garanties de change avant d'engager des ressources.

 

Enfin, la notion de « prime nationale », soit l’acceptation d’un rendement réduit par patriotisme, trouve ses limites lorsque la gouvernance locale ou la transparence budgétaire sont jugées déficientes. La réussite dépendra donc de la capacité des États à proposer des mécanismes crédibles, stables, et encadrés juridiquement.

 

Une alternative stratégique dans un contexte global tendu

 

Dans un environnement mondial marqué par le resserrement des conditions financières, l’accès aux marchés internationaux devient de plus en plus coûteux pour les pays africains. Les obligations de la diaspora, bien conçues, pourraient ainsi offrir un accès à des capitaux moins volatils, mieux ancrés localement et potentiellement plus stables à long terme.

 

Comme le conclut l’analyse, les capitaux de la diaspora représentent une ressource importante, souvent inexploitée, qui pourrait jouer un rôle de catalyseur pour l’investissement dans des secteurs vitaux comme la santé, l’éducation ou les infrastructures.

 

Encore faut-il que les États sachent tendre la main à ceux qui, de loin, n’ont jamais cessé de croire au développement de leur pays d’origine.