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  • 23/10/2025

Opinion : À Bamako, le silence des moteurs devient trop long

À quelques kilomètres de l’embarcadère des camions-citernes, à Bamako, on patiente. Des files de motos s’égrènent devant les rares stations ouvertes, le temps s’étire, le carburant se raréfie. Le paysage ressemble peu à peu à un seuil d’alerte : plus exactement, il l’est. Car depuis début septembre 2025, la capitale du Mali et de nombreuses villes du pays sont confrontées à une crise énergétique qui prend une dimension économique et stratégique.

 

1. Le déclencheur : l’arme silencieuse du blocage

 

C’est le Jama'at Nusrat al‑Islam wal‑Muslimin (JNIM) — affilié à Al‑Qaïda — qui a enclenché la bascule. En début septembre, le groupe a annoncé une mise à l’arrêt des importations de carburant vers le Mali — essence et diesel confondus — en provenance de pays voisins comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou la Guinée.


Quelques jours plus tard, au moins 40 citernes ont été détruites lors d’une attaque sur un convoi militaire-escorte dans la région de Kayes.


Le message est devenu clair : attaquer la logistique énergétique d’un pays peut s’apparenter à un levier de pression sur son économie.

Crise du carburant au Mali


2. La vulnérabilité structurelle : un pays à cœur importateur

 

Le Mali importe plus de 95% de ses produits pétroliers, ce qui expose l’économie à tout bris de chaîne d’approvisionnement.


Le pays ne dispose pas de raffinerie suffisante ni de multiples corridors d’importation sécurisés. Résultat : un réseau dépendant, vulnérable à la moindre interruption logistique — et l’interruption est bien là.

Les convois de carburant, qu'ils soient destinés à l’usage domestique ou à l’industrie minière, sont désormais soumis à escortes, retards, voire blocages. Exemple : l’armée malienne a retenu environ 70 camions-citerne destinés à la mine de Sadiola au début octobre.


Quand l’oxygène énergétique se fait rare, tout l’écosystème transversal en ressent les effets.

 

3. Les signes visibles de la crise – octobre 2025

 

Dès début octobre, le phénomène devient tangible :

  • Dans la capitale, des stations-service de grandes enseignes (Shell, Total, Star) ferment ou ne proposent plus que du diesel.
  • Les files s’allongent. Témoignage : « J’ai poussé ma moto sur six kilomètres pour rien », rapporte un utilisateur à Bamako.
  • L’énergie électrique vacille. Des centrales thermiques tombent à quelques heures de production faute de carburant.

 

L’économie réelle commence à souffler fort : transport, logistique, petites industries, commerces. Le coût du déplacement grimpe, les coûts de production augmentent, les chaînes logistiques s’enraillent.

 

4. Les effets économiques et sociaux

 

Parce que la crise n’est pas que technique : elle est profondément économique.

  • Pour les ménages, chaque litre manquant devient un détour, une angoisse, un surcoût. Ce qui était banal devient contraignant.
  • Pour les entreprises, c’est un coup au cœur : transport plus cher, production ralentie, investissement remis à plus tard.
  • Pour l’État, c’est un test de légitimité : assurer l’approvisionnement est un des piliers de la souveraineté. Quand ce pilier vacille, c’est toute la stabilité qui est remise en question.
  • Pour les secteurs clés, comme les mines, l’impact est direct : des transports bloqués, des activités à l’arrêt. Exemple : la mine de Sadiola dépend fortement des flux de carburant.

 

En filigrane, l’on voit la vulnérabilité d’un modèle économique encore trop dépendant, trop peu résilient.

 

1.   Lecture – ce que cette crise dit du Mali et de l’Afrique de l’Ouest

 

  • Un pays importateur quand le monde vacille est une cible facile. Le Mali le découvre trop tard.
  • Un blocage logistique équivaut à un choc d’offre : la demande est là, mais l’offre ne parvient pas. Cette asymétrie génère l’inflation, la raréfaction, l’instabilité.
  • La montée de groupes armés capables d’affecter l’économie nationale pose un nouveau paradigme : l’économie devient un champ de bataille.
  • La région ouest-africaine est interconnectée : un corridor bloqué ici, c’est des effets là-bas. Ce n’est pas seulement le Mali, c’est une alerte pour toute la sous-région.

 

5. L’enjeu pour l’agriculture, l’entrepreneuriat et le développement

 

Pour nous, qui suivons le financement, le développement, l’entrepreneuriat en Afrique : c’est un moment charnière.

  • Une micro-entreprise fonctionnant sur le transport routier voit son coût grimper brutalement.
  • Une ferme ou un producteur dépendant du diesel pour irriguer ou acheminer ses produits est désormais plus fragile.
  • Le financement de ces acteurs doit prendre en compte cette volatilité énergétique. On ne peut pas davantage ignorer l’instabilité du « carburant » comme variable stratégique.

 

6. Et maintenant ? Les pistes à suivre

 

À court terme : sécuriser les corridors d’importation, mettre en place des stocks tampons, multiplier les voies d’acheminement.

À moyen terme : diversifier les sources d’énergie ; envisager davantage de solaire, biocarburants, ou solutions hybrides dans les zones rurales.

À long terme : repenser le modèle énergétique pour qu’il soit moins importateur‐vulnérable, plus résilient, plus régional.
Tout cela est aussi un appel à l’intégration régionale, à la coopération logistique entre États, et à des politiques publiques capables d’anticiper les ruptures.

 

En somme, la crise du carburant au Mali n’est pas un choc isolé. C’est un symptôme : celui d’un modèle économique peu résilient, d’une logistique fragile, d’une souveraineté énergétique floue. Pour les entrepreneurs, les agriculteurs, les financiers, c’est un signal fort : l’énergie ne se négocie pas seulement à la pompe, elle se négocie dans les choix structurels.
Le silence des moteurs à Bamako n’est donc pas seulement le bruit d’un arrêt. Il est le signal d’alarme d’un système qui doit muter — et vite.