Cacao durable : comment l’Oxfam compte aider les producteurs ivoiriens

0
261

Du 1er au 3 mars 2024, des ONG se sont rendues dans la ville d’Abengourou pour une visite de terrain et de rencontre avec des producteurs de cacao. État des lieux, fixation du prix du cacao, place des producteurs, cacao durable, tout est dit dans cette interview de Bart Van Bessien, chargé de plaidoyer chez Oxfam.

Qu’avez-vous observé lors de votre visite de terrain?

Aller sur le terrain, parler avec les producteurs, et avoir la chance que ceux-ci soient honnêtes avec vous, je pense quand même que c’est un privilège, mais aussi une confrontation. Les ONG ou la société civile, nous nous présentons aux producteurs. Mais, les exportateurs, les acheteurs, le font très rarement. Cela fait qu’au moment de prendre des décisions en vue de trouver des solutions, ce sont des gens qui ne savent pas très souvent ce qu’ils vivent réellement sur le terrain qui se permettent de le faire. C’était une confrontation qui a permis de faire un rappel assez intense des difficultés.

En tant qu’ONG impliquée dans le projet de renforcement de la société civile pour la durabilité et la bonne gouvernance de la filière cacao en Côte d’Ivoire, quelles sont les dispositions que vous comptez prendre?

Je n’ai pas tout le pouvoir de décision. Dans le nord (de l’Europe, NDLR), on est assez connus, on a assez de soutien au niveau de la population. Nous essayons déjà de remonter la voix de ces braves populations afin qu’elles soient entendues par les politiques. 

Il faut vraiment voir quelles sont les violations des droits de l’homme et les dénoncer. Le plus important se situe au niveau de la chaîne de valeur, qu’il faut prioriser. Une chose que je voudrais bien faire, c’est plus de campagnes publiques vis-à-vis des entreprises, tant qu’il n’y a pas une loi qui oblige les entreprises à respecter les droits de l’homme. Nous pouvons susciter la pression publique. Parce que la seule chose à laquelle les entreprises réagissent, c’est la pression des consommateurs et la pression des actionnaires.

Et quels sont les moyens que vous comptez mettre en place?

J’espère qu’on va le faire, mais je vois que ça va être difficile. Ce qu’on pouvait faire est de demander aux entreprises si les prix qu’ils pratiquaient étaient dignes. Et s’ils pouvaient le prouver. Au cas où ils ne le pouvaient pas, cela serait publié dans la presse. Depuis très longtemps, les entreprises sont engagées dans les discussions de la durabilité, des droits de l’homme, mais il voit toujours que cela est complexe. Au point où ils oublient leur responsabilité propre. Ce sont des sujets très complexes, mais il ne faut pas occulter sa responsabilité. Et tant qu’il n’y a pas le nom de l’entreprise qui s’illustre de la mauvaise des manières dans les médias, ils ne vont pas se sentir concernés.

Dernièrement vous avez donné une formation sur la fixation du prix du cacao, pouvez-vous nous en dire plus?

Aujourd’hui c’est le marché. C’est l’offre et la demande qui créent le prix. Mais il y a quand même quelques paramètres qui sont importants. Il y a des pays qui sont très dominants de par leur offre, comme la Côte d’Ivoire et le Ghana qui font 60 % du volume mondial et eux, ils voudraient bien avoir un pouvoir sur le marché, mais ça semble très difficile. Ils ont essayé, mais leur pouvoir est assez limité encore. Une chose qui est vraie, c’est que quand la récolte en Côte d’Ivoire est mauvaise, comme cette année, il y a une réduction du volume produit et cela a un impact direct sur le marché du cacao.

Donc en fait, on pourrait dire que moins la Côte d’Ivoire produit de cacao, plus haut est le prix. C’est un peu cela, le pouvoir de la Côte d’Ivoire. Mais souvent c’est involontaire, comme c’est le cas aujourd’hui. C’est à cause des pluies. Après, les grands acheteurs, les traders (Cargill, Olam,…) qui sont en Côte d’Ivoire sont assez connus, mais pas dans le Nord. Ils jouent le jeu d’intermédiaire, et ils disent en fait qu’ils n’ont pas vraiment le pouvoir d’établir le prix. Ils sont très peu en nombre, il y a 4 traders qui font la logistique de trois quarts de tout le cacao du monde. Mais ils n’ont pas le pouvoir de fixer le prix, parce qu’ils vendent à des entreprises, à des chocolatiers. Et ces chocolatiers, on peut dire qu’ils ont un pouvoir plus important, parce qu’ils ont des marges plus élevées. C’est un peu complexe, ça va peut-être être difficile à expliquer tout ça sans des visuels.

Le cacao durable, qu’est-ce que ça vous inspire, est-ce un jeu de mots?

La durabilité, c’est un mot qui a connu beaucoup d’inflation (rires). C’est économique, social et environnemental, c’est un triptyque. Mais souvent c’est limité à l’environnemental. On dit durable en pensant aux petites feuilles ou à un arbre. Mais le durable, c’est le social, l’économique et l’environnemental, et faire en sorte qu’il y ait un équilibre entre les trois pour que dans le futur, on puisse continuer de vivre d’une façon digne.

C’est cela le durable. Le problème est que chacun répond à la question à sa façon. Nous on pense que le social et l’économie sont les bases pour avoir un produit durable. Et quand on parle de cacao durable en Côte d’Ivoire, si on répond à la question selon laquelle « Est-ce que le producteur ou ses travailleurs peuvent avoir une vie décente ? », je pense que la réponse est non. Et chaque fois que quelqu’un évoque le cacao de Côte d’Ivoire, c’est la valeur qu’on donne à une personne qui vit à l’intérieur du pays. Après il y a l’autre question environnementale, ce sont les inquiétudes sur les questions climatiques, la déforestation, les questions de biodiversité. La façon avec laquelle le cacao a été produit en Côte d’Ivoire, c’est étroitement lié à la question de la déforestation. En fait, plus il y a de cacao, moins il y a de forêts. Ç’a été l’équation pendant très longtemps. Et maintenant, on commence à se rendre compte qu’il faut qu’on protège les forêts. On ne peut plus permettre qu’il y ait du cacao qui vienne de la déforestation. Donc le durable, ça veut dire que ce soit un cacao produit sur un terrain qui n’a pas été déforesté. Mais pour faire cela, il faut bien payer les producteurs, parce que ça va coûter beaucoup d’argent. 

Réalisée par Sandra KOHET